Dix ans plus tard, Diderot rédige ses Eléments de physiologie . L'idée a suivi son cours pour aboutir à une théorie de l'entendement :
On éprouve une sensation ; on a une idée ; on produit un son représentatif de cette sensation, ou commémoratif de cette idée. Si la sensation ou l'idée se représente, la mémoire rappelle, et l'organe rend le même son. Avec l'expérience les sensations, les idées se multiplient ; mais comment la liaison s’introduit-elle entre les sensations, les idées, et les sons de manière non pas à former un cahos de sensations, d’idées et de sons disparates, mais une série que nous appelons raisonable, sensée ou suivie ?
Il y a dans la nature des liaisons entre les objets et entre les parties d’un objet. Cette liaison est nécessaire. Elle entraîne une liaison ou une succession nécessaire de sons correspondants à la succession nécessaire des choses apperçues, senties, vues, flairées, ou touchées. Par exemple, on voit un arbre, et le mot arbre est inventé. On ne voit point un arbre sans voir immédiatement et très constamment ensemble des branches, des feuilles, des fleurs, une écorce, des noeuds, un tronc, des racines, et voilà qu’aussitôt le mot arbre est inventé, d’autres signes s’inventent, s’enchaînent et s’ordonnent. De là, une suite de sensations, d’idées, et de mots liés et suivis.On regarde, et l’on flaire un oeillet, et l’on en reçoit une odeur forte ou faible, agreable ou deplaisante, et voilà une autre serie de sensations, d’idees et de mots. De là nait la faculté de juger, de raisonner, de parler, quoiqu’on ne puisse pas s’occuper de deux choses à la fois.
Un effet produit en nature ou en nous involontairement, ramène une longue suite d'idées. La raison a cela de commun avec la folie, c'est que ses phénomènes ont lieu dans l'un et l'autre état, avec cette différence que l'homme de sens ne prend pas ce qui se passe dans sa tête pour la scène du monde, et que le fou s'y trompe. Il croit que ce qui lui paraît, que ce qu'il désire, est, existe réellement. La marche de l'esprit n'est donc qu'une série d'expériences.
Suspendre son jugement, qu'est-ce ? Attendre l'expérience.
Le raisonnement se fait par des identités successives : Discursus series identificationum.