16 août 2010
Une série d'achats dont on ne cherchera pas les liens logiques : un pantalon, des chaussures, des chaussettes, trois assiettes, un bol, trois fourchettes, une petite cuillère et un couteau, deux cahiers (dont celui-ci) et deux stylos noirs (pointe rétractable). J'ai oublié le parapluie, ce qui est surprenant étant donné qu'il n'a fait que pleuvoir depuis le début de la journée. Une journée sans lien logique.
J'avais prévu de sortir, d'aller sur Paris pour consulter internet. Éveillé tôt, j'ai dû partir un peu après 9h, vers 9h20 peut-être. Il s'agissait de n,e pas arriver trop tôt, avant l'ouverture du moindre cybercafé du quartier des Halles, par exemple. C'est déjà arrivé. S'il fait beau, ce n'est pas un problème. Mais ce matin, je crois l'avoir déjà dit, il pleuvait. J'ai pris une veste qui, en principe, est une veste de pluie, un genre d'anorak avec une capuche. Je ne sais plus si c'est à ce moment que j'ai regardé l'horaire du bus en direction du RER. Peut-être est-ce à un autre moment, quand je suis ressorti. J'ai marché dans la pluie en direction du RER. Je me suis rendu compte que j'avais mal au dos. Arrivé au RER, je suis entré dans la station. Je suis même descendu sur le quai mais l'attente était de plus de dix minutes. Je n'avais pas la patience, ou la force d'attendre. Je suis vite remonté. J'aurais pu profiter de ce passage aux Arcades pour faire quelques courses mais j'avais mon sac en bandoulière et je ne vais jamais dans ce supermarché quand j'ai mon sac sur moi. Ce n'est pas très rationnel mais c'est ainsi. Je suis ressorti par le quartier du Pavé Neuf, que j'ai traversé de part en part. Passé sous les Camemberts, dont l'architecture mi-antique, mi-futuriste a influencé mes rêves de façon certaine. La pluie n'a fait qu'augmenter en intensité. Comme je ne me repère pas bien dans le quartier, le retour m'a pris plus de temps que prévu. Je me suis rendu compte que mon manteau n'offrait pas de résistance sérieuse à la pluie. J'ai marché plus d'une demi-heure sous la pluie, à quelques minutes de chez moi au fait. Le reste de la journée n'a été qu'allées et venues à demi orientées. Vers midi, par exemple, j'ai voulu descendre les bouteilles de vin dans le local à poubelles et emmener, pour la première fois, des vêtements dans une benne spéciale que j'avais repérée, il y a longtemps maintenant, près du supermarché où je me rends habituellement. Le sac où j'avais entassé les vêtements à jeter était celui que je voulais utiliser pour mes courses.
Dans le local à poubelles, manquait précisément le compartiment à bouteilles. Je suis remonté, j'ai pris le sac de vêtements, je suis allé sous la pluie (qui avait diminué d'intensité) porter mes vêtements au point de dépôt mais le conteneur a disparu. Il a dû être déplacé ou bien le dispositif a-t-il été arrêté ? Il a fallu que je rapporte mon sac de vêtements à la maison. Je me suis alors servi un whisky. J'ai mangé au whisky et l'heure de mon repas a coïncidé avec l'épisode quotidien de Derrick sur la 3. Je ne connaissais pas cet épisode. Un groupe de retraités qui fomentent un cambriolage. L'un des vieux est un ancien employé d'une boîte dont le coffre-fort est mal protégé. L'autre est un ancien de la police. Il a des contacts dans la pègre locale. Un troisième est un ancien acteur de théâtre, excessivement lyrique et expansif. Il y a une femme avide d'argent également, dans ce petit groupe de retraités désargentés et désabusés de la vie.
L'ancien policier a des connaissances dans un bar à entraîneuses. Mal accueilli par une hôtesse qui doit être la maîtresse du patron, Émile, il la rabroue virilement et son homme ne la traite pas mieux. Avec celui qu'il appelle « inspecteur », ils sont sur un coup.
L'ancien employé s'est assuré que rien n'avait changé dans sa boîte. Ni le coffre-fort ni les rythmes de ronde du gardien de nuit. Il a joué son propre rôle de retraité désœuvré pour quémander auprès du jeune patron de l'entreprise un poste de gardien. Le directeur l'a écouté, embarrassé, lui a fait don de 100 Deutschmark et lui a expliqué que le poste était pourvu, que le gardien était toujours le même et qu'il faisait toujours ses rondes à une heure d'intervalle dans la nuit.
Émile joue donc le rôle d'intermédiaire entre les retraités et deux jeunes gens qui sont, de toute évidence, des professionnels du cambriolage. Avec les éléments que fournit l'ancien employé, l'affaire semble aisée. Les malfaiteurs disposeront de soixante minutes pour accomplir leur forfait.
Les choses se dérouleront de façon plus tragique cependant. Le jeune chef d'entreprise est un amant fougueux et il s'attarde, le soir venu, avec une de ses assistantes. Le gardien a déjà fermé le bâtiment. Il le fait redescendre pour qu'il lui ouvre la porte. Le vieux gardien plaisante sur ces « heures supplémentaires » qui laissent des traces de rouge à lèvres. Précisément, la jeune femme se rend compte qu'elle a oublié dans le bureau... une boucle d'oreille.
Galant homme, le jeune chef d'entreprise court la rechercher. Or, les deux malfaiteurs sont déjà infiltré depuis longtemps dans les locaux. À l'heure qu'il est, ils sont occupés à percer le coffre-fort.
Dans la pièce d'à côté, le directeur finit par retrouver la fameuse boucle d'oreille. Il entend un bruit suspect. Sa première réaction est d'éteindre la lumière. Il écoute. D'autres bruits se font entendre. Il acquiert la conviction qu'il se passe quelque chose d'anormal. Aussi redescend-il précipitamment pour alerter le gardien et lui ordonner d'aller voir ce qui se passe. Le gardien arrive sur les lieux au moment où les cambrioleurs découvrent, dans le coffre, une impressionnante rivière de bijoux. Les professionnels, quand ils voient le vieil homme les menacer d'un revolver pas même armé, l'abattent sans l'ombre d'une hésitation.
Le petit groupe apprend par le journal le déroulement des événements de la veille. Le remords ne les assaille pas, au contraire. Blessés par la vie, ils estiment que ce butin leur est dû. Ils reprennent vite contact avec les jeunes malfrats, par l'intermédiaire du proxénète avec qui l'ancien « inspecteur » est resté lié. Et multiplient les imprudences, tandis que Derrick entre en jeu.
Il n'est pas long à apprendre la venue de l'ancien employé dans le bureau du jeune directeur, le jour même où le meurtre a été commis. Ou la veille, peut-être. Et quand il fait la connaissance du vieil homme et de ses amis, il note bien des éléments de suspicion.
Très vite, Derrick acquiert la conviction que le groupe est lié au cambriolage. D'autant qu'ils se trahissent par des achats irraisonnés. Mais l'ancien policier veut montrer à Derrick qu'il domine la situation. Il sait que Derrick n'a pas de preuve contre lui. Il s'engage alors un combat moral entre l'inspecteur et son « collègue » retraité, un collègue qui tente par tous les moyens de convaincre Derrick qu'ils sont du même métier de la même famille, du même bois peut-être ? Mais Derrick sait que les complices cèderont. Il les suit à la trace. Il leur ramène la veuve du gardien, qui croit avoir affaire à de charmantes vieilles personnes. Finalement, c'est l'ancien policier qui craque. Qui ne parvient plus à refouler la vérité.
En regardant l'épisode, j'ai composé une courte pièce pour guitare. Ça non plus, ce n'est pas très logique. Je compose peu pour la guitare seule. Comme si je me sentais oppressé par un système harmonique induit par l'instrument, emprise qui m'apparaît, pour d'obscures raisons, infiniment moindre sur la guitare basse. La fin de l'épisode a cependant marqué le signal d'une nouvelle sortie (les courses) qui serait suivie d'une autre (la dernière) à l'occasion de laquelle, d'ailleurs, je devais acheter ce cahier-ci.
Une journée en yoyo, comme je devrais presque les aimer. La pluie, je l'ai aimée, ce matin elle a été d'une puissance rare. Je m'y suis englouti. Mon corps était tout entier enveloppé d'eau et j'ai dérivé sous la pluie la plus insistante du monde avec une joie secrète, une joie rentrée.
Finalement je ne suis pas allé à Paris. C'est assez de cette ville. Je n'ai pas consulté mes mails (je n'ai plus internet ici). J'ai lu un « Gore », Saison de mort de Jack Ketchum (il me semble) avoir avoir terminé, hier, Tu enfanteras dans la terreur. Qui est plutôt un thriller qu'un gore. Saison de mort semble plutôt tourné vers le cannibalisme. Son écriture par contre semble droit sortie d'un atelier d'écriture. L'auteur enchaîne mécaniquement l'évocation d'un passé x avec un retour standardisé à la narration sur le modèle à peine décliné : « À cette pensée, il / elle sourit ». C'est incroyablement niais. Un genre de mime du roman-photo. Dans un roman de genre gore, ça ne fait pas sérieux. Heureusement, tout annonce l'anthropophagie dans ce roman. Elle est toujours l'occasion de rituels étranges et en décalage par rapport à la civilisation. Elle implique souvent une genèse calamiteuse et fantastique. Elle instruit un certain rapport à l'autre, bien sûr.
Rien ne sera logique. Ni les œufs sur le plat, agrémentés des quelques pâtes qui restent de ce midi, ni le western comique et subversif diffusé par Arte, où les femmes crient « Émancipation ! » au milieu des cowboys.
Un film sans logique. Il y est question de whisky. J'ai arrêté de le regarder. Je suis retourné à Saison de mort dont le style est véritablement mauvais. Je reprends une page : « Il pensa à... » Ces crétins de protagonistes ne font que penser ! À tous les coups, les cannibales vont se trouver avoir de graves problèmes sentimentaux ! Il faut dire que, depuis Massacre à la tronçonneuse, l'étudiant s'adonnant au camping est devenu le plat familier de tout fermier américain. Au début, on a le frisson, on ne pense plus qu'à ça. Et puis, très vite, le quotidien reprend le dessus. On se fait tacler par le conjoint, on souffre intérieurement. Les hurlements de vos victimes quand vous découpez une tranche ou deux pour le repas du soir, taillant dans la jambe sans y réfléchir, ne font que mettre en musique votre drame intérieur, intime. Bientôt, les étudiants sacrificiels encore vivants, plongés dans l'effroyable demi-conscience de ceux qui vont être mangés, assisteront à des scènes de ménage en pagaïe. « Tu ne m'as jamais aimé ! » Ou encore : « Tu ne penses qu'à la nourriture, à la chasse ! » Ou, plus graveleux : « Ne me dis pas que tu as coïté avec notre repas de ce soir ! » Ou bien : « Comment ? Tu as osé me servir de notre odieuse voisine et tu as cherché à me faire croire qu'il s'agissait de la charmante touriste aux jambes fuselées que nous avons croisée à la station-service ? »
Les stations-service sont des endroits très fréquentés par les fermiers anthropophages de l'Amérique profonde. C'est à savoir.
Je n'avais pas prévu de me rendre en Amérique, pour ma part. Je suis d'une époque (Tchernobyl) où l'inscription sur le passeport d'un visa soviétique interdisait au voyageur l'accès aux USA. On se gaussait ouvertement, en France, de ce fameux questionnaire que tout étranger devait remplir en répondant à des questions du type : « Avez-vous l'intention de commettre un attentat contre le président des États-Unis d'Amérique ? » Et rien sur les fermiers anthropophages.
Je ne pense donc pas les rencontrer. Je ne pourrai rien dire de leurs problèmes sentimentaux mais déjà, Jack Ketchum semble avoir pris le créneau. Il était sur place. Il a pu recueillir les témoignages, les confidences des protagonistes. A-t-il goûté de l'étudiant(e) ? Évidemment, quand on revient d'une expédition pareille, on ne peut pas tout en révéler. Le monde serait désagréablement surpris. « Vos cannibales ne sont vraiment pas fréquentables ! » Certes. Mais vous préféreriez qu'ils se comportent comme chez Ketchum, plongés dans des délires sentimentaux ? « Un jour, ils avaient mangé le foie de leur victime alors qu'elle vivait toujours. Le cannibale eut un sourire à cette pensée. » D'un point de vue littéraire, il est plus sain qu'une relation amoureuse tourne au cannibalisme que le contraire.
Ceci n'explique pas mes bizarres achats d'hier, qui doivent bien répondre à une logique cependant. Celle, déjà, d'avoir immédiatement suivi l'épisode de Derrick. Celle, sans doute, d'avoir paré à l'absence. Voyons si c'est le cas : le pantalon, pour parer à l'absence ? Ce n'est pas évident, même si le pantalon est noir (ce que je voulais éviter, d'ailleurs). Des chaussettes, plus suspectes dans leur mode d'acquisition, proches de l'énervement. Mettons qu'elles aient eu vocation à parer à l'absence. Les cahiers, ce pourrait être une confirmation de la tendance. Un cahier, c'est une arme de guerre. Les couverts (trois assiettes, un bol, trois fourchettes, un couteau, une cuillère) obéissent à une stratégie d'équilibre ambiguë : s'agissait-il réellement d'ajuster la proportion de chacun des ustensiles dans une rotation sérielle des repas ou de préparer en secret une réception, dont les invités ne seront dévoilés qu'au tout dernier moment ? Les chaussures, enfin, sont trop petites. L'achat est regrettable à tout point de vue. Si elles doivent servir, ce sera pour une occasion indéterminée. On ne saurait dire, finalement, si ces achats ont eu vocation à parer à l'absence mais il est presque assuré qu'ils ont voulu répondre à l'indétermination de ma situation morale, au moins psychique.
Certains épisodes sont des commencements. Ils ne le sont pas par nature cependant et parfois il faut les forcer un peu. Le caractère anecdotique d'un événement x ne le prédispose sans doute pas à en faire un fameux incipit mais l'obstacle n'est pas lourd à lever, notamment si l'on prend le parti d'un certain réalisme, prenant très au sérieux, par exemple, le rôle de l'accident dans la marche des événements. « Le conteneur à vêtements avait été déplacé, peut-être supprimé ». Ici, toute l'intrigue repose sur le caractère inaugural de cette tentative de porter des vêtements jusqu'à un conteneur qui, réellement, n'existait plus. Réellement, avait-il existé ? C'est peu probable, maintenant que j'y pense. Je ne sais pas bien ce qui a existé ou non au cours de ces dernières années. Je pourrais seulement dire ce qui n'existe plus.
Cette obscure série d'achat n'était sans doute qu'une façon de dire ce qui n'est plus. J'ai remarqué hier soir, au moment où je reposer ce cahier pour éteindre la lumière, que l'énumération initiale de ces acquisitions était incomplète : il manque les chaussures. Or, les chaussures représentent le point critique même de cette opération dont la logique s'est constituée au-dehors de moi. Des chaussures prétentieuses mais à bas prix – et trop petites, au final. Qu'y a-t-il de pire au monde que de commettre tant d'erreurs dans l'achat d'une seule paire de chaussures ?
La pluie peut-être. Elle tombe depuis la fin de la semaine dernière avec une persistance automnale. Elle a détruit l'été d'un coup, laissant penser qu'il ne reviendrait jamais. On a sifflé la fin de la récréation, ainsi. Le temps, désormais, vacille entre le gris passé de l'automne pourrissant et les teintes de givre de l'hiver infernal. La part de jour s'amenuisera inexorablement. Pas un temps à faire du camping, vraiment. Les paysans du Maine sen seront pour leurs frais.
Je n'ai pas réussi à aller plus loin dans ce livre qui, statistiquement, se lit en deux heures car c'est la durée normale de lecture des ouvrages de cette collection, calibrés sur 150 pages (seule la taille de la police de caractères varie). J'en ai lu un paquet l'année dernière. La lecture d'un « Gore » coïncidait assez exactement avec les trajets que j'effectuais, régulièrement, en train. En sorte que la normalisation de cette durée se déclinait sans difficulté sur mes autres trajets, tels que le RER (4 x 30 mn), le bus et le tramway (45 + 15 x 2) ou même sur la lecture d'avant-sommeil : il est 21h, si je lis ce « Gore » de bout en bout je m'endormirai )à 23h.
Mais ce livre de Jack Ketchum me tombe définitivement des mains. Je suis capable de la plus grande bienveillance à l'égard des « Gore ». Dans l'un, l'amateurisme du style est compensé par une invention ingénieuse. Dans l'autre, la stéréotypie de l'ensemble n'empêche pas la composition de beaux tableaux. Dans un troisième, c'est la caractérisation des personnages qui est médiocre. Mais là, ce n'est pas vraiment un obstacle. Au contraire même. La caractérisation est une des plaies parmi les plus purulentes qui puissent affecter le roman.
Une série d'achats dont on ne cherchera pas les liens logiques : un pantalon, des chaussures, des chaussettes, trois assiettes, un bol, trois fourchettes, une petite cuillère et un couteau, deux cahiers (dont celui-ci) et deux stylos noirs (pointe rétractable). J'ai oublié le parapluie, ce qui est surprenant étant donné qu'il n'a fait que pleuvoir depuis le début de la journée. Une journée sans lien logique.
J'avais prévu de sortir, d'aller sur Paris pour consulter internet. Éveillé tôt, j'ai dû partir un peu après 9h, vers 9h20 peut-être. Il s'agissait de n,e pas arriver trop tôt, avant l'ouverture du moindre cybercafé du quartier des Halles, par exemple. C'est déjà arrivé. S'il fait beau, ce n'est pas un problème. Mais ce matin, je crois l'avoir déjà dit, il pleuvait. J'ai pris une veste qui, en principe, est une veste de pluie, un genre d'anorak avec une capuche. Je ne sais plus si c'est à ce moment que j'ai regardé l'horaire du bus en direction du RER. Peut-être est-ce à un autre moment, quand je suis ressorti. J'ai marché dans la pluie en direction du RER. Je me suis rendu compte que j'avais mal au dos. Arrivé au RER, je suis entré dans la station. Je suis même descendu sur le quai mais l'attente était de plus de dix minutes. Je n'avais pas la patience, ou la force d'attendre. Je suis vite remonté. J'aurais pu profiter de ce passage aux Arcades pour faire quelques courses mais j'avais mon sac en bandoulière et je ne vais jamais dans ce supermarché quand j'ai mon sac sur moi. Ce n'est pas très rationnel mais c'est ainsi. Je suis ressorti par le quartier du Pavé Neuf, que j'ai traversé de part en part. Passé sous les Camemberts, dont l'architecture mi-antique, mi-futuriste a influencé mes rêves de façon certaine. La pluie n'a fait qu'augmenter en intensité. Comme je ne me repère pas bien dans le quartier, le retour m'a pris plus de temps que prévu. Je me suis rendu compte que mon manteau n'offrait pas de résistance sérieuse à la pluie. J'ai marché plus d'une demi-heure sous la pluie, à quelques minutes de chez moi au fait. Le reste de la journée n'a été qu'allées et venues à demi orientées. Vers midi, par exemple, j'ai voulu descendre les bouteilles de vin dans le local à poubelles et emmener, pour la première fois, des vêtements dans une benne spéciale que j'avais repérée, il y a longtemps maintenant, près du supermarché où je me rends habituellement. Le sac où j'avais entassé les vêtements à jeter était celui que je voulais utiliser pour mes courses.
Dans le local à poubelles, manquait précisément le compartiment à bouteilles. Je suis remonté, j'ai pris le sac de vêtements, je suis allé sous la pluie (qui avait diminué d'intensité) porter mes vêtements au point de dépôt mais le conteneur a disparu. Il a dû être déplacé ou bien le dispositif a-t-il été arrêté ? Il a fallu que je rapporte mon sac de vêtements à la maison. Je me suis alors servi un whisky. J'ai mangé au whisky et l'heure de mon repas a coïncidé avec l'épisode quotidien de Derrick sur la 3. Je ne connaissais pas cet épisode. Un groupe de retraités qui fomentent un cambriolage. L'un des vieux est un ancien employé d'une boîte dont le coffre-fort est mal protégé. L'autre est un ancien de la police. Il a des contacts dans la pègre locale. Un troisième est un ancien acteur de théâtre, excessivement lyrique et expansif. Il y a une femme avide d'argent également, dans ce petit groupe de retraités désargentés et désabusés de la vie.
L'ancien policier a des connaissances dans un bar à entraîneuses. Mal accueilli par une hôtesse qui doit être la maîtresse du patron, Émile, il la rabroue virilement et son homme ne la traite pas mieux. Avec celui qu'il appelle « inspecteur », ils sont sur un coup.
L'ancien employé s'est assuré que rien n'avait changé dans sa boîte. Ni le coffre-fort ni les rythmes de ronde du gardien de nuit. Il a joué son propre rôle de retraité désœuvré pour quémander auprès du jeune patron de l'entreprise un poste de gardien. Le directeur l'a écouté, embarrassé, lui a fait don de 100 Deutschmark et lui a expliqué que le poste était pourvu, que le gardien était toujours le même et qu'il faisait toujours ses rondes à une heure d'intervalle dans la nuit.
Émile joue donc le rôle d'intermédiaire entre les retraités et deux jeunes gens qui sont, de toute évidence, des professionnels du cambriolage. Avec les éléments que fournit l'ancien employé, l'affaire semble aisée. Les malfaiteurs disposeront de soixante minutes pour accomplir leur forfait.
Les choses se dérouleront de façon plus tragique cependant. Le jeune chef d'entreprise est un amant fougueux et il s'attarde, le soir venu, avec une de ses assistantes. Le gardien a déjà fermé le bâtiment. Il le fait redescendre pour qu'il lui ouvre la porte. Le vieux gardien plaisante sur ces « heures supplémentaires » qui laissent des traces de rouge à lèvres. Précisément, la jeune femme se rend compte qu'elle a oublié dans le bureau... une boucle d'oreille.
Galant homme, le jeune chef d'entreprise court la rechercher. Or, les deux malfaiteurs sont déjà infiltré depuis longtemps dans les locaux. À l'heure qu'il est, ils sont occupés à percer le coffre-fort.
Dans la pièce d'à côté, le directeur finit par retrouver la fameuse boucle d'oreille. Il entend un bruit suspect. Sa première réaction est d'éteindre la lumière. Il écoute. D'autres bruits se font entendre. Il acquiert la conviction qu'il se passe quelque chose d'anormal. Aussi redescend-il précipitamment pour alerter le gardien et lui ordonner d'aller voir ce qui se passe. Le gardien arrive sur les lieux au moment où les cambrioleurs découvrent, dans le coffre, une impressionnante rivière de bijoux. Les professionnels, quand ils voient le vieil homme les menacer d'un revolver pas même armé, l'abattent sans l'ombre d'une hésitation.
Le petit groupe apprend par le journal le déroulement des événements de la veille. Le remords ne les assaille pas, au contraire. Blessés par la vie, ils estiment que ce butin leur est dû. Ils reprennent vite contact avec les jeunes malfrats, par l'intermédiaire du proxénète avec qui l'ancien « inspecteur » est resté lié. Et multiplient les imprudences, tandis que Derrick entre en jeu.
Il n'est pas long à apprendre la venue de l'ancien employé dans le bureau du jeune directeur, le jour même où le meurtre a été commis. Ou la veille, peut-être. Et quand il fait la connaissance du vieil homme et de ses amis, il note bien des éléments de suspicion.
Très vite, Derrick acquiert la conviction que le groupe est lié au cambriolage. D'autant qu'ils se trahissent par des achats irraisonnés. Mais l'ancien policier veut montrer à Derrick qu'il domine la situation. Il sait que Derrick n'a pas de preuve contre lui. Il s'engage alors un combat moral entre l'inspecteur et son « collègue » retraité, un collègue qui tente par tous les moyens de convaincre Derrick qu'ils sont du même métier de la même famille, du même bois peut-être ? Mais Derrick sait que les complices cèderont. Il les suit à la trace. Il leur ramène la veuve du gardien, qui croit avoir affaire à de charmantes vieilles personnes. Finalement, c'est l'ancien policier qui craque. Qui ne parvient plus à refouler la vérité.
En regardant l'épisode, j'ai composé une courte pièce pour guitare. Ça non plus, ce n'est pas très logique. Je compose peu pour la guitare seule. Comme si je me sentais oppressé par un système harmonique induit par l'instrument, emprise qui m'apparaît, pour d'obscures raisons, infiniment moindre sur la guitare basse. La fin de l'épisode a cependant marqué le signal d'une nouvelle sortie (les courses) qui serait suivie d'une autre (la dernière) à l'occasion de laquelle, d'ailleurs, je devais acheter ce cahier-ci.
Une journée en yoyo, comme je devrais presque les aimer. La pluie, je l'ai aimée, ce matin elle a été d'une puissance rare. Je m'y suis englouti. Mon corps était tout entier enveloppé d'eau et j'ai dérivé sous la pluie la plus insistante du monde avec une joie secrète, une joie rentrée.
Finalement je ne suis pas allé à Paris. C'est assez de cette ville. Je n'ai pas consulté mes mails (je n'ai plus internet ici). J'ai lu un « Gore », Saison de mort de Jack Ketchum (il me semble) avoir avoir terminé, hier, Tu enfanteras dans la terreur. Qui est plutôt un thriller qu'un gore. Saison de mort semble plutôt tourné vers le cannibalisme. Son écriture par contre semble droit sortie d'un atelier d'écriture. L'auteur enchaîne mécaniquement l'évocation d'un passé x avec un retour standardisé à la narration sur le modèle à peine décliné : « À cette pensée, il / elle sourit ». C'est incroyablement niais. Un genre de mime du roman-photo. Dans un roman de genre gore, ça ne fait pas sérieux. Heureusement, tout annonce l'anthropophagie dans ce roman. Elle est toujours l'occasion de rituels étranges et en décalage par rapport à la civilisation. Elle implique souvent une genèse calamiteuse et fantastique. Elle instruit un certain rapport à l'autre, bien sûr.
Rien ne sera logique. Ni les œufs sur le plat, agrémentés des quelques pâtes qui restent de ce midi, ni le western comique et subversif diffusé par Arte, où les femmes crient « Émancipation ! » au milieu des cowboys.
Un film sans logique. Il y est question de whisky. J'ai arrêté de le regarder. Je suis retourné à Saison de mort dont le style est véritablement mauvais. Je reprends une page : « Il pensa à... » Ces crétins de protagonistes ne font que penser ! À tous les coups, les cannibales vont se trouver avoir de graves problèmes sentimentaux ! Il faut dire que, depuis Massacre à la tronçonneuse, l'étudiant s'adonnant au camping est devenu le plat familier de tout fermier américain. Au début, on a le frisson, on ne pense plus qu'à ça. Et puis, très vite, le quotidien reprend le dessus. On se fait tacler par le conjoint, on souffre intérieurement. Les hurlements de vos victimes quand vous découpez une tranche ou deux pour le repas du soir, taillant dans la jambe sans y réfléchir, ne font que mettre en musique votre drame intérieur, intime. Bientôt, les étudiants sacrificiels encore vivants, plongés dans l'effroyable demi-conscience de ceux qui vont être mangés, assisteront à des scènes de ménage en pagaïe. « Tu ne m'as jamais aimé ! » Ou encore : « Tu ne penses qu'à la nourriture, à la chasse ! » Ou, plus graveleux : « Ne me dis pas que tu as coïté avec notre repas de ce soir ! » Ou bien : « Comment ? Tu as osé me servir de notre odieuse voisine et tu as cherché à me faire croire qu'il s'agissait de la charmante touriste aux jambes fuselées que nous avons croisée à la station-service ? »
Les stations-service sont des endroits très fréquentés par les fermiers anthropophages de l'Amérique profonde. C'est à savoir.
Je n'avais pas prévu de me rendre en Amérique, pour ma part. Je suis d'une époque (Tchernobyl) où l'inscription sur le passeport d'un visa soviétique interdisait au voyageur l'accès aux USA. On se gaussait ouvertement, en France, de ce fameux questionnaire que tout étranger devait remplir en répondant à des questions du type : « Avez-vous l'intention de commettre un attentat contre le président des États-Unis d'Amérique ? » Et rien sur les fermiers anthropophages.
Je ne pense donc pas les rencontrer. Je ne pourrai rien dire de leurs problèmes sentimentaux mais déjà, Jack Ketchum semble avoir pris le créneau. Il était sur place. Il a pu recueillir les témoignages, les confidences des protagonistes. A-t-il goûté de l'étudiant(e) ? Évidemment, quand on revient d'une expédition pareille, on ne peut pas tout en révéler. Le monde serait désagréablement surpris. « Vos cannibales ne sont vraiment pas fréquentables ! » Certes. Mais vous préféreriez qu'ils se comportent comme chez Ketchum, plongés dans des délires sentimentaux ? « Un jour, ils avaient mangé le foie de leur victime alors qu'elle vivait toujours. Le cannibale eut un sourire à cette pensée. » D'un point de vue littéraire, il est plus sain qu'une relation amoureuse tourne au cannibalisme que le contraire.
Ceci n'explique pas mes bizarres achats d'hier, qui doivent bien répondre à une logique cependant. Celle, déjà, d'avoir immédiatement suivi l'épisode de Derrick. Celle, sans doute, d'avoir paré à l'absence. Voyons si c'est le cas : le pantalon, pour parer à l'absence ? Ce n'est pas évident, même si le pantalon est noir (ce que je voulais éviter, d'ailleurs). Des chaussettes, plus suspectes dans leur mode d'acquisition, proches de l'énervement. Mettons qu'elles aient eu vocation à parer à l'absence. Les cahiers, ce pourrait être une confirmation de la tendance. Un cahier, c'est une arme de guerre. Les couverts (trois assiettes, un bol, trois fourchettes, un couteau, une cuillère) obéissent à une stratégie d'équilibre ambiguë : s'agissait-il réellement d'ajuster la proportion de chacun des ustensiles dans une rotation sérielle des repas ou de préparer en secret une réception, dont les invités ne seront dévoilés qu'au tout dernier moment ? Les chaussures, enfin, sont trop petites. L'achat est regrettable à tout point de vue. Si elles doivent servir, ce sera pour une occasion indéterminée. On ne saurait dire, finalement, si ces achats ont eu vocation à parer à l'absence mais il est presque assuré qu'ils ont voulu répondre à l'indétermination de ma situation morale, au moins psychique.
Certains épisodes sont des commencements. Ils ne le sont pas par nature cependant et parfois il faut les forcer un peu. Le caractère anecdotique d'un événement x ne le prédispose sans doute pas à en faire un fameux incipit mais l'obstacle n'est pas lourd à lever, notamment si l'on prend le parti d'un certain réalisme, prenant très au sérieux, par exemple, le rôle de l'accident dans la marche des événements. « Le conteneur à vêtements avait été déplacé, peut-être supprimé ». Ici, toute l'intrigue repose sur le caractère inaugural de cette tentative de porter des vêtements jusqu'à un conteneur qui, réellement, n'existait plus. Réellement, avait-il existé ? C'est peu probable, maintenant que j'y pense. Je ne sais pas bien ce qui a existé ou non au cours de ces dernières années. Je pourrais seulement dire ce qui n'existe plus.
Cette obscure série d'achat n'était sans doute qu'une façon de dire ce qui n'est plus. J'ai remarqué hier soir, au moment où je reposer ce cahier pour éteindre la lumière, que l'énumération initiale de ces acquisitions était incomplète : il manque les chaussures. Or, les chaussures représentent le point critique même de cette opération dont la logique s'est constituée au-dehors de moi. Des chaussures prétentieuses mais à bas prix – et trop petites, au final. Qu'y a-t-il de pire au monde que de commettre tant d'erreurs dans l'achat d'une seule paire de chaussures ?
La pluie peut-être. Elle tombe depuis la fin de la semaine dernière avec une persistance automnale. Elle a détruit l'été d'un coup, laissant penser qu'il ne reviendrait jamais. On a sifflé la fin de la récréation, ainsi. Le temps, désormais, vacille entre le gris passé de l'automne pourrissant et les teintes de givre de l'hiver infernal. La part de jour s'amenuisera inexorablement. Pas un temps à faire du camping, vraiment. Les paysans du Maine sen seront pour leurs frais.
Je n'ai pas réussi à aller plus loin dans ce livre qui, statistiquement, se lit en deux heures car c'est la durée normale de lecture des ouvrages de cette collection, calibrés sur 150 pages (seule la taille de la police de caractères varie). J'en ai lu un paquet l'année dernière. La lecture d'un « Gore » coïncidait assez exactement avec les trajets que j'effectuais, régulièrement, en train. En sorte que la normalisation de cette durée se déclinait sans difficulté sur mes autres trajets, tels que le RER (4 x 30 mn), le bus et le tramway (45 + 15 x 2) ou même sur la lecture d'avant-sommeil : il est 21h, si je lis ce « Gore » de bout en bout je m'endormirai )à 23h.
Mais ce livre de Jack Ketchum me tombe définitivement des mains. Je suis capable de la plus grande bienveillance à l'égard des « Gore ». Dans l'un, l'amateurisme du style est compensé par une invention ingénieuse. Dans l'autre, la stéréotypie de l'ensemble n'empêche pas la composition de beaux tableaux. Dans un troisième, c'est la caractérisation des personnages qui est médiocre. Mais là, ce n'est pas vraiment un obstacle. Au contraire même. La caractérisation est une des plaies parmi les plus purulentes qui puissent affecter le roman.
Dernière édition par pascal le Mer 5 Jan 2011 - 9:03, édité 2 fois