Archives du sériographe

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Notes pour une archéologie du signifiant fr série

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    Repli

    Irpli
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    Message  Irpli Mer 26 Jan 2011 - 14:08

    Les dangers

    Si tu souffres, dis-toi que tu défends une forme de vie. Chaque être humain est une espèce menacée.
    Personne ne représente la menace. C'est cette carence -- personne -- qui est destructrice.

    /.../

    La solitude, le silence et le temps marchent ensemble.

    /.../

    La solitude n'est pas asociale ; elle opère une sérieuse fonction sociale.

    La solitude n'est ni triste, ni ennuyeuse. Mais déchirante, oui. Le temps l'accroît, elle progresse en profondeur.

    La solitude n'est pas un rempart mais un filtre.

    Peut-être convient-il, dans une soirée, de présenter sa solitude en même temps qu'on se présente, soi.

    La solitude n'est pas un danger, en soi - mais une chance. La solitude est une chance de comprendre le monde.

    D'où le communiste seul -- pas de contradiction. Mais une constatation : travailleurs de tous les pays, il serait bon que vous vous unissiez. Moi, depuis le repli où je suis, je ne puis que dire cela, mais le dire continuellement : quel que soit le contexte de prose ou de vers, sous forme de didascalie ou entre deux pages d'un récit plus ou moins cohérent, dans les limites de ce que je sais faire, dire et répéter - même s'il tard déjà (Eclaireur comme tu surviens tard !) : lutter contre l'emprise destructrice du capitalisme est la première des nécessités.

    L'exercice même du repli répond à cette politique. Il s'agit de mettre au point des instruments de lutte : le symbole.



    Le symbole

    Marcheur dans les rues de la ville tu observes le trafic symbolique continu qui s'opère autour de toi. Pas d'illusion : tu ne régentes rien, tu te confonds avec la foule, tu épouses son style de bruit.

    Symboles et figurines que tu retrouves quand tu rentres chez toi.

    Objets divers que nous touchons. Vous ranger implique un investissement mental hors série.
    Vous revenez en rêve, et le rêve vous désaisit de votre insignifiance. Désormais, "captifs du rêve", vous nous accompagnez.

    Ensemble vous formez un alphabet intime, ou plutôt un ensemble d'idéogrammes personnels, imprononçables -- je ne te dis pas tasse ; je ne te dis pas cendrier ; je ne te dis pas fauteuil.

    Vous êtes des veilles. Parfois vous me signifiez votre état présent. A d'autres moments vous me rappelez votre origine et votre histoire, à quel temps et à quels êtres vous vous êtes liés.

    Je dépose la vie en vous. Je vous fais don (d'un peu) de ma vie.

    Et c'est encore une occasion, je le vois bien, de passer pour un fantaisiste ou pis, mais je crois bien que ce trafic est général est constant. Le langage est animiste, à sa façon. Le repli exacerbe l'animisme dans le langage, sans y croire, sans y chercher un réconfort ou un soutien.



    Abstraction, extraction

    Repli et abstraction. Lutte entre les dimensions : le vertical verticalise, l'horizon plane, la profondeur s'approfondit. Et l'individu là-dedans ? Qui te verrai-je si en moi les dimensions de l'espace s'accroissent contradictoirement ? Si elles s'émancipaient les unes des autres ? Et si la profondeur se mettait à vivre seule son aventure de profondeur ? N'ai-je pas eu un avant-goût amer d'une telle complication des choses lors des dédoublements sériels affreux du mois dernier ?

    Ma personnalité -- n'était pas double, non. Je ne crois pas m'être dédoublé, plutôt fissuré mais les choses (et mes pensées parmi ces choses) prenaient bien, pour leur part, un aspect double, dangereusement double. Est-il utile de le préciser ? Cette duplicité ne semblait qu'un prélude à leur effritement.

    L'espace est blessé. Pas seulement lui, d'ailleurs, mais il importe de mettre au jour les fractures, les plaies qui affectent l'espace -- notablement l'espace urbain.

    L'idée de résistance dans le repli pourrait s'appuyer sur une histoire de fantomes, d'ombres, et de mots. Le mot, le symbole, sont bel et bien des fantomes, des ombres. Alors on a glosé sur le fait que l'emploi des mots pour s'expliquer impliquait d'avoir en somme "tué" les choses qu'ils désignent (ou : auxquelles ils se rapportent). Et puis l'on s'est révolté contre cette image parce qu'enfin, les choses ne sont pas tuées par les mots qui seraient des tueurs en série mais à la façon d'Archibald de la Cruz assassinant en imagination des femmes qui ne mouraient jamais de sa main. Ainsi on a voulu émanciper les mots -- qu'ils vivent leur vie propre (mais enfin, qu'ils ne s'éloignent pas trop, tout de même, de la prairie de l'empirie !) --

    Je résume un siècle de débats où l'incompréhension et la mauvaise foi ont eu bonne part, et de façon parfois indiscernable. A partir d'images - de métaphores - on échafaude des théories, des contre-théories, on fait d'une interrogation sur ce qu'est le langage un champ de bataille, horrible comme les autres.
    Cette scène des Croix de bois où un homme, perdu au milieu du champ de bataille crépitant de toutes part, s'écrie : "Au secours ! On assassine des hommes !" Propos si décalés, improbables et pourtant si justes, si exacts.

    Que sont les fantomes ? Des morts, revenus non à la vie mais dans la vie. Enfant, on y croit. Adolescent, on essaie de s'en déprendre. Adulte, on les retrouve, on comprend qu'il sied non de les ignorer comme trop de nos contemporains s'y essaient mais d'amorcer un dialogue (mais de l'amorcer comme s'il avait déjà eu lieu, qu'il avait été interrompu une très longue période, et qu'à l'instant où il aurait repris cette interruption perdrait toute consistance temporelle) avec eux, non-morts, jusqu'à la se demander d'où vient le stupide préjugé sur la mort des fantomes - qui ne le sont pas ! La question commence de se répondre si l'on envisage le fait que ces pseudo-morts que sont les fantomes côtoient, fatalement, des pseudo-vivants que le repli traverse de part en part et qui fréquentent la marge dédiée, en principe, aux existences fantomatiques.

    Ainsi l'effritement inital de l'espace de repli et de sa compréhension représentait-il la dimension peut-être fissurée, défectueuse, par où communiquent pseudo-vivants et pseudo-morts.

    Le lecteur qui sera parvenu à ce point de ma méditation risque à nouveau de s'inquiéter de la cohérence de mon propos. Je veux le rassurer : nous sommes dans l'ordre du symbole, et c'est ce qui assure la réalité inattaquable des faits improbables que je rapporte. La réalité du symbole est incomparable avec la réalité empirique : elle en est la condition. Pourtant la réalité se révolte, inflige démenti sur démenti au symbole qui se remet toujours sur pied. Masse amorphe, anorganique, figure de chairs décomposées et de viscères mêlés, l'imagination ! pétrit de symbole le réel, sans s'inquiéter des coups qui lui sont portés et qui la déchirent, en la fouettant, continuellement. L'imagination, la folle du repli, et qui se montre toute nue dans le rêve, dans son déchirement permanent, que le réel la fouette ! Les symboles sont des fantomes, c'est-à-dire des êtres vivants et leur veille assidue autour de chaque parcelle de la réalité est méritoire. La vie est interne, non externe. Je suis un pseudo-vivant, ou est-ce vous ?

    Abstraction, un : je me retire. Même de moi-même, s'il le faut, je me retirerai. Peinture abstraite : toute peinture dont mon visage est absent. Toute peinture - non qui me parle d'autre chose que de moi - mais qui m'arrache à moi-même ; au lieu où je me trouve.

    Abstraction, deux : ce qu'on demande à l'abstraction, c'est l'extraction (or, fumier, purin). En retour l'extraction s'opérera abstraitement. Abstraction, extraction -- étant les deux dimensions du repli (insurrectionnel) : comme profondeur et profondeur, dans un espace qui ne connaitrait que profondeur.


    Direction

    Où aller ? Dire : je suis sans direction, je vais où le vent me portera, c'est céder à une illusion (le vent).
    Il faudrait naviguer pour raisonner ainsi. La voile rend le bateau tributaire du vent. Les rames ! Est-il dans la conscience quelque chose qu'on puisse lâcher comme des rames. Le bateau peut aller sans décider de sa direction, même si le risque est grand de s'échouer contre un corail ou une épave. L'esprit -- a ses vents, mais ils sont internes. Le vent de l'esprit me conduit au repli -- et la question est : où donc le repli conduit-il ? Et je bute sur cette question, fort simple dès qu'il s'agit de me déplacer physiquement : tel bus conduit à Bondy, à Pavillons-sous-Bois ; le métro traverse Paris ; le RER se déploie sur la grande banlieue. Mais le repli semble conduire et ignorer de plus en plus où il conduit. C'est un problème.

    Dans une perspective littéraire, ce pourrait même être plus grave que cela. L'absence de direction -- pour un texte, une oeuvre -- est un écueil rédibitoire, insupportable à la lecture. Comment s'en sortir ? Mais en posant des directions furtives, peut-être, sans les dépecer de leur aura de fiction.
    J'irai en Iglotoir.


    [b]
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    Message  Irpli Mer 26 Jan 2011 - 14:03



    - i –


    Avec les
    vers à soie --- lutter

    avec les armes
    du bourreau --- s’il lutte

    si tu tutoies le bourreau
    le bourreau te tuera

    et l’on t’en-
    terrera

    avec les
    vers à soi



    - ii –


    Avec les lames du soleil
    avec des bagues
    de lumière aux doigts
    avec l’âge
    et les grandes misères
    avec un œil sans
    l’autre qui s’est fendillé
    avec un peu de chance
    avec la fin
    avec des formes sans leurs ombres
    mais avec clarté --- et profondeur



    - iii –


    C’est l’heure --- disent les corbeaux
    et les corbeaux tournent la tête
    avec une ligne d’arbres
    le tronc ouvert --- c’est la frontière.

    Tu te retrouves paysager
    mais au matin le ciel est gris
    c’est jour de silence lundi
    sans boussole --- et c’est l’ascèse.

    Que te tourmente cette disposition
    d’arbres
    c’est le fameux exercice --- tu y lis
    des significations déjà ouvertes c’est
    dans ta paume --- une forme d’oreille



    - iv –


    Puis
    jusqu’au
    vendredi

    le lac
    près de la
    route

    les migrations
    d’oiseaux

    l’heure
    te tourne.



    - v –


    Tourne-toi et viens près
    mais tu n’es pas
    infini
    pas en te rapprochant

    avec les pierres
    qui ne te disent rien
    l’herbe qui
    te cache quelque chose

    pas un humain
    ce n’est pas un appel
    il n’y a
    presque plus de chemin



    - vi –


    Rapproche-toi
    de la rivière fixe
    mais qui s’évapore

    pour voir le lit
    de la rivière où tu te jettes
    vers le fleuve

    où la plus
    haute mer
    t’attend

    toi aussi – attends
    et te rapproche
    de l’horizon



    - vii –


    Algues, ruines
    -- passages balisés
    des fonds de
    l’eau

    puis : la vue
    trouble
    d’une voie impénétrable

    comme tu souffles
    devant des
    algues marines
    -- silence.



    - viii –


    Où tout s’explique
    où une lumière tombe
    comme une jupe – formant une flaque
    colorée à tes pieds

    ce mouvement ondulatoire que j’ai béni
    dont j’ai béni mes yeux
    le jour

    et – qui exerce une attraction que les rêves déchaînent 
    sur qui --- mais qui es-tu qui attires
    auprès de toi – un
    gamin attardé attablé ?



    - ix –


    Qui sait ? Mais
    le verbe savoir
    sait --- et lui seul

    Qui –
    explique --- mais le verbe
    que tu as employé – et dont
    je n’avais pas le sens
    (celui que tu me suggérais)

    Qui parle
    de quel droit
    avec quelle moue
    que je lis sur ta bouche 

    anonyme
    que tes lèvres dessinent ?



    - x –


    J’ai l’œil
    --- et non seulement l’œil
    mais celui du serpent ---

    j’ai une serpillière
    et une serpe --- mes mains

    j’ai un œil
    pour main --- et une main
    pour œil

    mais qui
    agite des sarcasmes
    sur mon dos que moud
    une vaisselle ancienne
    revenue des rêves ?



    - xi –


    L’inconscience a deux voix
    --- c’est l’une
    pour te perdre et l’autre
    seulement te ment

    et te prend dans ses bras
    que tu pleures qu’elle aime
    et tu t’y perds et tu aimes

    l’inconscience te couvre
    les yeux un à un
    et te mange les mains
    --- et tu n’as plus de voix

    mais tu aimes cette sœur
    abominable à ton parfum
    à ton ventre où tu restes
    agenouillé à ses genoux


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    Message  Irpli Mer 26 Jan 2011 - 13:58

    Sursaut -

    Je m'éveille à minuit, à trois heures, quatre heures et demi. Je compte : six heures, sept heures de sommeil. J'ai donc dormi. Je veux dire : j'ai dormi mon compte, mon content, mon contant. - Puisque le sommeil conte avec plus de force, plus de présence que la veille.

    Et si l'on parlait comme on rêve ? A y regarder de près, je ne doute pas qu'on décèle maintes analogies entre les deux activités. Mais plus encore, si de nos bouches émanaient un flux aussi saisissant que le complexe linguistique, visuel, auditif, olfactif, gustatif, ou encore tactile - et temporel, toujours - qu'est le rêve...
    Requête vaine : le rêve est l'envers de l'écrit, comme du "suprasegmental" dans le langage parlé - qui sont des "sémiotiques sans sémantique". Le rêve est, comme l'oeuvre d'art, selon le mot de Benveniste, une sémantique sans sémiotique.

    Du rêve comme de l'oeuvre nous nous faisons les interprétants, jamais les traducteurs. Pourtant il n'y a rien de commun entre le rêve et l'oeuvre d'art. L'oeuvre s'inscrit toujours au coeur de la matière qu'elle emploie : langage, image, son, corps, pierre. Le rêve, lui, se défie de la matière, dont il ne connait que les sensations qu'il manie comme des fantomes étrangement agglomérés.

    La matérialité du rêve est nulle. La seule matérialité, c'est celle du récit, d'un récit qui se fixe dans la mémoire, ou sur le papier, dans la matière-langage. La matière-langage est inapte à rendre la complexité sensorielle du rêve, qui est inapte à exister pour autrui. Le rêve est prisonnier du rêveur, ce qui rejaillit sur le rêveur que le rêve emprisonne dans le langage articulé, inapte à rendre le faisceau d'impressions délié du temps qu'est le rêve.

    Délié du temps, le rêve se précipite à l'éveil. Le réveil sonne : dans le rêve c'est une alarme généralisée, un appel d'on ne sait où, quelque chose qui semble provenir d'extrêmement loin et qui vous arrache à vous-même, à la réalité qui vous entoure.

    La conscience se précise, et avec elle l'heure, le jour, les échéances du jour et des jours à venir. Dans l'esprit se combinent les pensées du rêve et celles de la veille (et, bien souvent, la voix qui émane du poste de radio), et si l'on pouvait transcrire la pensée qui par heurts se fraie un chemin jusqu'au signal de l'éveil, le café, on gagnerait à mon sens quelque quatorze ou quinze possibles idiomes littéraires.

    Là au contraire l'éveil est net, définitif, sans rêve. Pas même : expulsé du rêve. J'ai en tête des pensées liées à la veille. Je me dirige vers la cafetière mais je vois bien qu'au fond, je pourrais fort bien me passer du café pour marquer le petit déjeuner, le réveil vrai (de tels jours sont rares, mais ils ont existé - même si je n'ai jamais poussé au bout l'expérience qui reviendrait à ne pas boire de café à l'éveil). Et puis je vaque à des occupations variées - mes "passe-temps". Si je cours, c'est vers six heures, à l'aube. Courir la nuit est pittoresque, mais, outre qu'il est peu plaisant de ne rien voir du paysage autour de soi, l'expérience est risquée, particulièrement au bord de la Marne. Courir, c'est avant tout s'englober dans un souvenir qui a la forme du paysage qui se meut autour de soi. Un exercice, au sens du poème. Je n'aime pas courir de jour : trop de rencontres, trop de regards réels ou ressentis perturbent l'activité psychique de la course. L'aube est donc le moment idéal : "Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt" : l'adage est trop souvent pris comme un hymne au travail. La réalité est tout autre. Si le jour appartient aux honnêtes gens et la nuit aux milieux interlopes, l'aube n'appartient à personne. C'est l'heure où vos fêtes s'éteignent.

    Lors de la bataille de Verdun, les combats durèrent des jours et des nuits, durant lesquelles les soldats ne pouvaient même pas dormir, pris sous les assauts, les bombardements. Le ciel fumait. La terre aussi, de sang. Les champs fertiles de corps déchiquetés. Après les avoir privés de la faculté de penser, les états-majors venaient de décider de retirer aux soldats le sommeil.
    L'aube est une heure asociale, une heure d'intimité absolue. C'est-à-dire que, même dans la solitude, on s'y rend plus intime avec soi-même. L'aube est mon heure victorieuse : je ne ressens pas le besoin de sourire.


    Occupations

    Mais à trois heures, trois heures trente ? Ce n'est pas une heure pour courir. Ecrire, lire, c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Et penser. Comme ce jour où j'ai pensé à toi de quatre heures du matin à onze heures du soir, dans un martellement insensé de ma tête et de mes nerfs. Il n'en va pas toujours ainsi, heureusement. Mais s'éveiller à trois heures du matin (après six ou sept heures de sommeil, tout de même) tient en quelque chose d'une décision prise à part soi, malgré soi. Une décision de dérèglement. Peu à peu, il me semblera abandonner la vie du soir pour celle de l'extrême matin.


    Heures de repli

    Les heures de repli sont contradictoires, et celles du soir ne sont pas celles du matin. Qu'est-ce que le soir dans le repli ? Ou qu'est-ce, encore, que le repli dans le déjà-pli ? Questions ouvertes, questions pièges. Le soir : quand nous nous côtoyons, c'est presque avec froideur, non comme des inconnus mais comme des voisins qui s'ignorent, et qui estiment avoir d'autant moins à frayer ensemble qu'ils sont voisins, disposition rédibitoire.
    J'avais un voisinage mythologique, un vrai voisinage de fous, comme un village dans une petite ville de banlieue. Cela dans l'enfance.

    A mon tour, j'ai eu peur des autres et je n'ai plus voulu soutenir leur regard. "Jouer le jeu" : une affaire de chaque instant. Une fois on dit oui, l'autre fois non, par goût, par hasard, par intérêt ou par défi. Par excédent ou déficit moral, parfois. La place du voisinage dans le jeu social : globalement, on le tient au-dehors de son cercle social, on le sacrifie.

    - Vous êtes fou ! Je n'ai jamais fait cela à mes voisins !
    - Vos voisins sont des êtres psychiques, monsieur Merzin, ne le voyiez-vous pas ?
    - En aucun cas. Voyez comme eux se sont retournés contre moi, par contre.
    - C'est que vous faites peur à voir.
    - Vous aussi, vous me traitez de dingue ?
    - Oh non, je ne pourrais pas dire ça.

    Je me suis esquivé. La compagnie d'Alain Merzin n'est pas la plus appropriée pour appréhender cette phase intitulée "Repli" et dont je voudrais assurer le lecteur qu'elle est autre chose qu'un rejet généralisé de la vie sociale, que j'aime beaucoup par ailleurs. "Repli" est exercice, un exercice d'après-oeuvre, d'après cette illusion qu'il y a un intérêt à achever quoi que ce soit, à assembler des choses éparses en un tout.
    Il me faut revenir sur la douleur extrême qu'a entraînée ma désillusion. L'absence de forme, l'absence de limites, l'absence également de direction où aller, avaient sur moi des effets déchirants. Et je pleurais SÉRIE et je pleurais RÉCIT et je pleurais POÈME et j'étais inconsolable : ni Jean Grosjean ni Pascal Quignard, en qui je trouvais des paroles humaines, de qui peut-être j'aurais pu me rapprocher, n'était le sentiment politique, ne me rassénérèrent. Comment être ce précipité de classicisme dans un esprit bolchevik, avec un système nerveux hérité de Rimbaud ou d'Artaud ? Une telle combinaison aboutissait-elle à cet autoportrait inavoué qu'était le phoetus volontaire des années 1990-1992 ? La crise que je traversais n'était pas littéraire. Je devrais remercier celle par qui j'ai compris que cette "crise" n'était pas littéraire.

    J'étais dans des entraves, que je ne comprenais pas, qu'à la limite je pouvais attribuer à une situation sociale qui me préoccupait trop pour que je pusse me soucier de l'abstraction archéenne ou plisséenne. Ce n'était pas non plus le travail, ni aucune activité autre, qui m'interdisait d'écrire, mais la perte de certains repères.


    Repli et dignité

    Encore une absurdité, je vous entends. Mais regardons de près à quoi ressemble la dignité du repli.
    Le repli est une forme d'état social empreinte de silence. Dévêtir du dépit, de la tristesse, de la rancoeur, le silence - est un art délicat.

    Parvenir au silence, libérer la parole -- mais non au sens d'une psychothérapie. Libérer la parole qui couve sous nos mots, celle qui est la plus rare et la plus vraie. Celle-là équivaut au silence. Ce qu'on trouve surtout dans des oeuvres musicales, chez Anton Webern ou dans les dernières oeuvres de Luigi Nono, ces oeuvres où le silence qui côtoie le son semble émaner de lui.

    Le silence n'est plus le même. Il était oppression sociale ; il devient source de libération intérieure : empreinte du temps, du temps lent, du temps que l'on peut palper et regarder aussi bien autour de soi qu'en soi. Il est certain qu'Alain Merzin, même lorsqu'il eut passé les limites du roman réaliste, n'eut jamais le silence serein ou même enthousiaste (mais il n'est rien dont il faille plus se méfier, dans le repli, que de ces enthousiasmes qui nous font prétendre détenir la clef, une vérité ou pis : la vérité). Silence et animosité furent pour lui, tout au long de sa vie, des synonymes.

    Cette scène datant d'après le projet réaliste d'une histoire de Merzin montre l'intéressé en compagnie d'un homme de religion (un curé, vraisemblablement) et tous deux dissertent en marchant dans les rues d'une ville détruite par la guerre (en quelle année est-on ?, m'a un jour demandé quelqu'un. J'ai souri). Je ne sais plus lequel des deux dit à l'autre : "Entendez-vous ce silence ? Il est assourdissant, ce soir !" Quelqu'un enchaîne : "Vacarme !" On ne sait pas pourquoi ce quelqu'un dit cela.
    - Que voulez-vous, mon fils ! C'est la guerre, enfin...

    Après un incident que je ne relaterai pas ici, Merzin assourdi par le silence de cette ville en flammes ne reçoit plus qu'un cri, son cri, un cri proféré par lui à une grande distance de là dans le temps, en avant ou en arrière, ou peut-être le tout forme-t-il une boucle perpétuelle qui traverse la vie de Merzin, mais ce cri le déchire et Merzin dans une ultime vision panoramique de la ville détruite se disperse en lambeaux dans l'espace, atteint par un obus ?

    On ne trouvera pas tant la figure du repli chez Merzin que celle du déchirement et de la désagrégation. Mieux vaudrait encore mettre à contribution Joe Dalle, mais Joe me pose d'autres problèmes, qui seront réglés en leur temps ("C'est toi ou moi !"). Aglaé me paraissait la plus sûre alliée, mais elle est inaccessible et préfère la compagnie des fantomes -- et ceux de la ville encore. Il y aurait encore John Wayne (pas l'acteur) et son ombre qui monologuent sans fin au coeur d'une pyramide urbaine. La figurine double de John Wayne et de son ombre me semblait crédible, un temps. Mais à rassembler ces bris épars d'un récit de 221 protagonistes, je m'aperçois de la vanité de mon projet, de l'écart auquel je me risque : m'éloigner de l'ombre, du symbole.
    Repli est sans visage. Attention à ne pas attacher d'image.
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    Message  Irpli Mer 26 Jan 2011 - 13:53


    Adieu

    2 mars 2003

    Je sais. Mais Dieu n'existe pas. Et la situation a bien changé. Trois années ont passé. A l'époque la seconde intifada dominait l'actualité. Aujourd'hui l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis d'Amérique menace la paix mondiale.

    -- Et mon adieu était formel, rien d'autre. L'adieu réel (dans le repli, position arc-boutée) est dédiée à Tonio, mort en 1987 à la suite de son ultime tentative de suicide. Je suis ton épitathe, camarade. Toi, tu es ma voix, tu me l'as donnée peu avant de disparaître, sur le bord de la RN3, près de l'église. Je sortais du tabac (tu sais, ce café tenu par des gens que je n'aime pas). Tu m'as demandé une cigarette. Moi, j'étais un adolescent plié et replié dans mes angoisses adolescentes. Entre nous, et ce fut immédiat, une confiance illimitée, rayonnante, intègre ou intégrale, s'est instaurée. Avons-nous « pactisé » ? Tu as eu pour moi des mots d'une telle gentillesse, ils m'ont été d'un tel soutien. C'était un peu avant de te tuer.

    Le Requiem pour la conférence de la paix, l'hommage que je t'ai rendu dans l'épaisseur d'un été commençant, n'est pas le premier texte que j'ai écrit (le « premier tué » ou le « premier amour »). C'est bien ici pourtant que tout commence. Et aujourd'hui, je crains que nous ne soyons au point où l'incompréhensible hommage (qu'avais-tu à voir avec l'ONU ?) termine de s'expliquer. Tragiquement.

    -- Si je te mythifie ? Sans doute, mais pourquoi m'y refuserais-je ? Parce que notre rencontre fut réellement mythologique. Sa dimension magique – c'est le langage qui opère – ne devrait pas être réduite à une lubie de ma part. Parfois j'ai le sentiment que tu t'es tué pour moi, c'est-à-dire : à ma place. Et que je vis pour toi, c'est-à-dire : à ta place. Je garderai toujours en moi une place où tu puisses respirer

    -- Espèce de fou !
    -- Oui.


    Explication [????]

    Un homme s'est replié, un soir, en rentrant du travail sur sa couche et pensant : « Je ne me relèverai pas. Je n'en peux plus de me lever et de me relever incessamment. »

    D'où l'expression : « plier bagage » [à suivre...]

    Le demi sommeil où il baignait – fut une forteresse. Dehors, des cris indistincts ruisselaient comme une pluie irrégulière (très forte, puis toute légère et de nouveau violente).

    Dans le repli des ombres jaillissaient, se dispersaient, changeaient de forme, se dédoublaient... figure d'une mythologie confuse, comme un rêve mythologique prolongé, avec d'importantes zones d'ombres et des combinaisons absurdes, révoltantes (Icare fait roi, Moïse et le Christ se battant comme des chiens sur une plage, Gandhi en assassin sanguinaire, Napoléon poète...) L'empire s'effondrait. Cette nuit-là, un rêve plein de nostalgie le déchire du ventre au haut de la poitrine : qu'il appelle le « rêve de l'éden double ». Au jardin de l'éden double se substituait déjà un trafic divin et humain (divin parce qu'humain et réciproquement) qui devait subitement dégénérer en bataille rangée (une guerre de tranchées, des montagnes de cadavres, un ciel masqué par la fumée et les geysers de sang humain, du sang du dieu des nestoriens).

    À l'éveil, tout devait être abandonné : « adieu ! » (sachant qu'un dieu n'existe pas, ne saurait exister dans un contexte politique pareil). Ultime tromperie ? Tromperie en tout cas, oui : non seulement il ne voyait pas de dieu mais encore l'adieu même lui devient illusoire, (fantomatique, lointain). Au coeur du déchirement, lointain.

    Au coeur du déchirement, il y avait un mot. Un mot qui ressemblait à s'y méprendre à toute une humanité. De lui aussi, l'homme au repli voulut se séparer. Et l'on verra s'il y parvint, au final.

    Mais écoutons plutôt la suite. Elle nous contredira encore, c'est sûr. C'est (je le crains) son principe de base. Tant pis pour qui ?
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    Message  Irpli Mer 26 Jan 2011 - 13:48

    1.




    Tu te replies
    je voudrais te dire
    tends un bras
    vers moi

    mais tu me voies
    et moi aussi
    je me replie

    dans le repli
    il n'y a que des angles d'ombre
    nous ne parlons pas

    mais je te cherche
    tu n'as plus de nom
    plus rien qui te dise

    alors prions
    dans le repli
    je t'estime

    toi aussi
    commerce
    mes organes



    2.




    Comme l'espace semble
    se fermer parfois
    ce sont des mots aussi
    qui verrouillent
    nous sans clefs
    sommes des orphelins
    si nous parlions
    le mal empirerait
    dans le silence pourtant
    ce qui empire
    n'est que le silence
    et une boucle
    s'ouvre et pourtant
    un oeil
    se glisse
    où passe la lumière
    où tu te tiens
    comme plié mais humain
    presque




    3.




    Il fallait ouvrir une porte
    appeler un ascenceur
    descendre pour monter
    pour redescendre mais

    c'est une fenêtre au grand jour
    un rideau de lumière
    elle t'accepte et te baigne
    tu te sauvais en elle

    alors que tout a disparu
    le silence est ce soir
    ce qu'il y a de fort
    tu l'écoutes content

    mais ton contentement
    a quelque chose de fragile
    devant le peu de jour
    entre la porte et la fenêtre





    4.




    J'ai le souvenir d'escaliers
    sous lesquels on se cachait
    en riant et pour rire
    on se drappait de grosses couvertures
    avec des yeux qui innovaient
    à chaque parcelle d'espace

    j'ai le souvenir plus terne
    de la nuit et de la lampe
    qui restait allumée de nuit
    comme une veille ou une sentinelle
    une borne de nuit

    tandis que se battaient
    entre ton lit et la fenêtre
    plus grandes qu'elles n'étaient
    de grandes branches d'arbre






    4.




    - Où vas-tu à présent ?
    - Ah mais ! je vais au vent !

    - Et que fais-tu ?
    - Ne vois-tu pas ?
    Ne vois-tu pas que je tue ?

    - Et comment vas-tu donc ?
    - Je joue
    avec des joncs, des joncs et des
    plongeons

    Et les réponses s'enchaînaient
    aux questions qui tentaient
    de les ouvrir

    et les questions ouvertes
    les réponses les fermaient
    comme un couvercle




    5.




    Il fut un temps...
    --- Ce temps n'est plus.

    Ah. Et
    à quoi bon donc ?

    Vois-tu ?
    Je ne sais pas si cela a
    à être bon

    Si les choses sont rondes
    il n'y a que ce monde
    mais elles s'effondrent
    vas-tu les défendre ?

    Oui. Car
    leur agresseur t'agresse
    leur oppresseur t'oppresse
    leur calomniateur te calomnie
    leurs jurons t'injurient

    et tu te trouves
    --- à nouveau
    dans la balance ?





    8.




    C'était un soir mélancolique
    --- la ville ne les connaît pas
    elle masque les visages
    des passants et de ses habitants
    comme pour leur dire
    votre tristesse n'existe pas
    j'ai connu moi de pires vies
    alors passez et habitez
    vos fenêtres
    ne vous regarderont pas
    les lampadaire
    ne font que dénombrer vos pas
    une notion
    n'existe pas --- en moi
    et vous ne pouvez l'inventer





    9.




    Replie-toi tout ce soir
    ce soir ne finira pas
    il t'entendra
    sans te répondre
    et toi tu appelais
    ta voix se suspendit
    entre l'air et les
    lèvres
    --- ce fut pour
    que tu la vîsses niaise
    tu t'es posé dessous
    et tu l'as laissée retomber
    sur toi
    tes épaules sont fendues à présent
    ton nez écrasé
    ne réponds rien
    effectue seulement les gestes
    les plus simples
    de ton repli ennemi ----

    [b]

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