Les dangers
Si tu souffres, dis-toi que tu défends une forme de vie. Chaque être humain est une espèce menacée.
Personne ne représente la menace. C'est cette carence -- personne -- qui est destructrice.
/.../
La solitude, le silence et le temps marchent ensemble.
/.../
La solitude n'est pas asociale ; elle opère une sérieuse fonction sociale.
La solitude n'est ni triste, ni ennuyeuse. Mais déchirante, oui. Le temps l'accroît, elle progresse en profondeur.
La solitude n'est pas un rempart mais un filtre.
Peut-être convient-il, dans une soirée, de présenter sa solitude en même temps qu'on se présente, soi.
La solitude n'est pas un danger, en soi - mais une chance. La solitude est une chance de comprendre le monde.
D'où le communiste seul -- pas de contradiction. Mais une constatation : travailleurs de tous les pays, il serait bon que vous vous unissiez. Moi, depuis le repli où je suis, je ne puis que dire cela, mais le dire continuellement : quel que soit le contexte de prose ou de vers, sous forme de didascalie ou entre deux pages d'un récit plus ou moins cohérent, dans les limites de ce que je sais faire, dire et répéter - même s'il tard déjà (Eclaireur comme tu surviens tard !) : lutter contre l'emprise destructrice du capitalisme est la première des nécessités.
L'exercice même du repli répond à cette politique. Il s'agit de mettre au point des instruments de lutte : le symbole.
Le symbole
Marcheur dans les rues de la ville tu observes le trafic symbolique continu qui s'opère autour de toi. Pas d'illusion : tu ne régentes rien, tu te confonds avec la foule, tu épouses son style de bruit.
Symboles et figurines que tu retrouves quand tu rentres chez toi.
Objets divers que nous touchons. Vous ranger implique un investissement mental hors série.
Vous revenez en rêve, et le rêve vous désaisit de votre insignifiance. Désormais, "captifs du rêve", vous nous accompagnez.
Ensemble vous formez un alphabet intime, ou plutôt un ensemble d'idéogrammes personnels, imprononçables -- je ne te dis pas tasse ; je ne te dis pas cendrier ; je ne te dis pas fauteuil.
Vous êtes des veilles. Parfois vous me signifiez votre état présent. A d'autres moments vous me rappelez votre origine et votre histoire, à quel temps et à quels êtres vous vous êtes liés.
Je dépose la vie en vous. Je vous fais don (d'un peu) de ma vie.
Et c'est encore une occasion, je le vois bien, de passer pour un fantaisiste ou pis, mais je crois bien que ce trafic est général est constant. Le langage est animiste, à sa façon. Le repli exacerbe l'animisme dans le langage, sans y croire, sans y chercher un réconfort ou un soutien.
Abstraction, extraction
Repli et abstraction. Lutte entre les dimensions : le vertical verticalise, l'horizon plane, la profondeur s'approfondit. Et l'individu là-dedans ? Qui te verrai-je si en moi les dimensions de l'espace s'accroissent contradictoirement ? Si elles s'émancipaient les unes des autres ? Et si la profondeur se mettait à vivre seule son aventure de profondeur ? N'ai-je pas eu un avant-goût amer d'une telle complication des choses lors des dédoublements sériels affreux du mois dernier ?
Ma personnalité -- n'était pas double, non. Je ne crois pas m'être dédoublé, plutôt fissuré mais les choses (et mes pensées parmi ces choses) prenaient bien, pour leur part, un aspect double, dangereusement double. Est-il utile de le préciser ? Cette duplicité ne semblait qu'un prélude à leur effritement.
L'espace est blessé. Pas seulement lui, d'ailleurs, mais il importe de mettre au jour les fractures, les plaies qui affectent l'espace -- notablement l'espace urbain.
L'idée de résistance dans le repli pourrait s'appuyer sur une histoire de fantomes, d'ombres, et de mots. Le mot, le symbole, sont bel et bien des fantomes, des ombres. Alors on a glosé sur le fait que l'emploi des mots pour s'expliquer impliquait d'avoir en somme "tué" les choses qu'ils désignent (ou : auxquelles ils se rapportent). Et puis l'on s'est révolté contre cette image parce qu'enfin, les choses ne sont pas tuées par les mots qui seraient des tueurs en série mais à la façon d'Archibald de la Cruz assassinant en imagination des femmes qui ne mouraient jamais de sa main. Ainsi on a voulu émanciper les mots -- qu'ils vivent leur vie propre (mais enfin, qu'ils ne s'éloignent pas trop, tout de même, de la prairie de l'empirie !) --
Je résume un siècle de débats où l'incompréhension et la mauvaise foi ont eu bonne part, et de façon parfois indiscernable. A partir d'images - de métaphores - on échafaude des théories, des contre-théories, on fait d'une interrogation sur ce qu'est le langage un champ de bataille, horrible comme les autres.
Cette scène des Croix de bois où un homme, perdu au milieu du champ de bataille crépitant de toutes part, s'écrie : "Au secours ! On assassine des hommes !" Propos si décalés, improbables et pourtant si justes, si exacts.
Que sont les fantomes ? Des morts, revenus non à la vie mais dans la vie. Enfant, on y croit. Adolescent, on essaie de s'en déprendre. Adulte, on les retrouve, on comprend qu'il sied non de les ignorer comme trop de nos contemporains s'y essaient mais d'amorcer un dialogue (mais de l'amorcer comme s'il avait déjà eu lieu, qu'il avait été interrompu une très longue période, et qu'à l'instant où il aurait repris cette interruption perdrait toute consistance temporelle) avec eux, non-morts, jusqu'à la se demander d'où vient le stupide préjugé sur la mort des fantomes - qui ne le sont pas ! La question commence de se répondre si l'on envisage le fait que ces pseudo-morts que sont les fantomes côtoient, fatalement, des pseudo-vivants que le repli traverse de part en part et qui fréquentent la marge dédiée, en principe, aux existences fantomatiques.
Ainsi l'effritement inital de l'espace de repli et de sa compréhension représentait-il la dimension peut-être fissurée, défectueuse, par où communiquent pseudo-vivants et pseudo-morts.
Le lecteur qui sera parvenu à ce point de ma méditation risque à nouveau de s'inquiéter de la cohérence de mon propos. Je veux le rassurer : nous sommes dans l'ordre du symbole, et c'est ce qui assure la réalité inattaquable des faits improbables que je rapporte. La réalité du symbole est incomparable avec la réalité empirique : elle en est la condition. Pourtant la réalité se révolte, inflige démenti sur démenti au symbole qui se remet toujours sur pied. Masse amorphe, anorganique, figure de chairs décomposées et de viscères mêlés, l'imagination ! pétrit de symbole le réel, sans s'inquiéter des coups qui lui sont portés et qui la déchirent, en la fouettant, continuellement. L'imagination, la folle du repli, et qui se montre toute nue dans le rêve, dans son déchirement permanent, que le réel la fouette ! Les symboles sont des fantomes, c'est-à-dire des êtres vivants et leur veille assidue autour de chaque parcelle de la réalité est méritoire. La vie est interne, non externe. Je suis un pseudo-vivant, ou est-ce vous ?
Abstraction, un : je me retire. Même de moi-même, s'il le faut, je me retirerai. Peinture abstraite : toute peinture dont mon visage est absent. Toute peinture - non qui me parle d'autre chose que de moi - mais qui m'arrache à moi-même ; au lieu où je me trouve.
Abstraction, deux : ce qu'on demande à l'abstraction, c'est l'extraction (or, fumier, purin). En retour l'extraction s'opérera abstraitement. Abstraction, extraction -- étant les deux dimensions du repli (insurrectionnel) : comme profondeur et profondeur, dans un espace qui ne connaitrait que profondeur.
Direction
Où aller ? Dire : je suis sans direction, je vais où le vent me portera, c'est céder à une illusion (le vent).
Il faudrait naviguer pour raisonner ainsi. La voile rend le bateau tributaire du vent. Les rames ! Est-il dans la conscience quelque chose qu'on puisse lâcher comme des rames. Le bateau peut aller sans décider de sa direction, même si le risque est grand de s'échouer contre un corail ou une épave. L'esprit -- a ses vents, mais ils sont internes. Le vent de l'esprit me conduit au repli -- et la question est : où donc le repli conduit-il ? Et je bute sur cette question, fort simple dès qu'il s'agit de me déplacer physiquement : tel bus conduit à Bondy, à Pavillons-sous-Bois ; le métro traverse Paris ; le RER se déploie sur la grande banlieue. Mais le repli semble conduire et ignorer de plus en plus où il conduit. C'est un problème.
Dans une perspective littéraire, ce pourrait même être plus grave que cela. L'absence de direction -- pour un texte, une oeuvre -- est un écueil rédibitoire, insupportable à la lecture. Comment s'en sortir ? Mais en posant des directions furtives, peut-être, sans les dépecer de leur aura de fiction.
J'irai en Iglotoir.
[b]
Si tu souffres, dis-toi que tu défends une forme de vie. Chaque être humain est une espèce menacée.
Personne ne représente la menace. C'est cette carence -- personne -- qui est destructrice.
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La solitude, le silence et le temps marchent ensemble.
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La solitude n'est pas asociale ; elle opère une sérieuse fonction sociale.
La solitude n'est ni triste, ni ennuyeuse. Mais déchirante, oui. Le temps l'accroît, elle progresse en profondeur.
La solitude n'est pas un rempart mais un filtre.
Peut-être convient-il, dans une soirée, de présenter sa solitude en même temps qu'on se présente, soi.
La solitude n'est pas un danger, en soi - mais une chance. La solitude est une chance de comprendre le monde.
D'où le communiste seul -- pas de contradiction. Mais une constatation : travailleurs de tous les pays, il serait bon que vous vous unissiez. Moi, depuis le repli où je suis, je ne puis que dire cela, mais le dire continuellement : quel que soit le contexte de prose ou de vers, sous forme de didascalie ou entre deux pages d'un récit plus ou moins cohérent, dans les limites de ce que je sais faire, dire et répéter - même s'il tard déjà (Eclaireur comme tu surviens tard !) : lutter contre l'emprise destructrice du capitalisme est la première des nécessités.
L'exercice même du repli répond à cette politique. Il s'agit de mettre au point des instruments de lutte : le symbole.
Le symbole
Marcheur dans les rues de la ville tu observes le trafic symbolique continu qui s'opère autour de toi. Pas d'illusion : tu ne régentes rien, tu te confonds avec la foule, tu épouses son style de bruit.
Symboles et figurines que tu retrouves quand tu rentres chez toi.
Objets divers que nous touchons. Vous ranger implique un investissement mental hors série.
Vous revenez en rêve, et le rêve vous désaisit de votre insignifiance. Désormais, "captifs du rêve", vous nous accompagnez.
Ensemble vous formez un alphabet intime, ou plutôt un ensemble d'idéogrammes personnels, imprononçables -- je ne te dis pas tasse ; je ne te dis pas cendrier ; je ne te dis pas fauteuil.
Vous êtes des veilles. Parfois vous me signifiez votre état présent. A d'autres moments vous me rappelez votre origine et votre histoire, à quel temps et à quels êtres vous vous êtes liés.
Je dépose la vie en vous. Je vous fais don (d'un peu) de ma vie.
Et c'est encore une occasion, je le vois bien, de passer pour un fantaisiste ou pis, mais je crois bien que ce trafic est général est constant. Le langage est animiste, à sa façon. Le repli exacerbe l'animisme dans le langage, sans y croire, sans y chercher un réconfort ou un soutien.
Abstraction, extraction
Repli et abstraction. Lutte entre les dimensions : le vertical verticalise, l'horizon plane, la profondeur s'approfondit. Et l'individu là-dedans ? Qui te verrai-je si en moi les dimensions de l'espace s'accroissent contradictoirement ? Si elles s'émancipaient les unes des autres ? Et si la profondeur se mettait à vivre seule son aventure de profondeur ? N'ai-je pas eu un avant-goût amer d'une telle complication des choses lors des dédoublements sériels affreux du mois dernier ?
Ma personnalité -- n'était pas double, non. Je ne crois pas m'être dédoublé, plutôt fissuré mais les choses (et mes pensées parmi ces choses) prenaient bien, pour leur part, un aspect double, dangereusement double. Est-il utile de le préciser ? Cette duplicité ne semblait qu'un prélude à leur effritement.
L'espace est blessé. Pas seulement lui, d'ailleurs, mais il importe de mettre au jour les fractures, les plaies qui affectent l'espace -- notablement l'espace urbain.
L'idée de résistance dans le repli pourrait s'appuyer sur une histoire de fantomes, d'ombres, et de mots. Le mot, le symbole, sont bel et bien des fantomes, des ombres. Alors on a glosé sur le fait que l'emploi des mots pour s'expliquer impliquait d'avoir en somme "tué" les choses qu'ils désignent (ou : auxquelles ils se rapportent). Et puis l'on s'est révolté contre cette image parce qu'enfin, les choses ne sont pas tuées par les mots qui seraient des tueurs en série mais à la façon d'Archibald de la Cruz assassinant en imagination des femmes qui ne mouraient jamais de sa main. Ainsi on a voulu émanciper les mots -- qu'ils vivent leur vie propre (mais enfin, qu'ils ne s'éloignent pas trop, tout de même, de la prairie de l'empirie !) --
Je résume un siècle de débats où l'incompréhension et la mauvaise foi ont eu bonne part, et de façon parfois indiscernable. A partir d'images - de métaphores - on échafaude des théories, des contre-théories, on fait d'une interrogation sur ce qu'est le langage un champ de bataille, horrible comme les autres.
Cette scène des Croix de bois où un homme, perdu au milieu du champ de bataille crépitant de toutes part, s'écrie : "Au secours ! On assassine des hommes !" Propos si décalés, improbables et pourtant si justes, si exacts.
Que sont les fantomes ? Des morts, revenus non à la vie mais dans la vie. Enfant, on y croit. Adolescent, on essaie de s'en déprendre. Adulte, on les retrouve, on comprend qu'il sied non de les ignorer comme trop de nos contemporains s'y essaient mais d'amorcer un dialogue (mais de l'amorcer comme s'il avait déjà eu lieu, qu'il avait été interrompu une très longue période, et qu'à l'instant où il aurait repris cette interruption perdrait toute consistance temporelle) avec eux, non-morts, jusqu'à la se demander d'où vient le stupide préjugé sur la mort des fantomes - qui ne le sont pas ! La question commence de se répondre si l'on envisage le fait que ces pseudo-morts que sont les fantomes côtoient, fatalement, des pseudo-vivants que le repli traverse de part en part et qui fréquentent la marge dédiée, en principe, aux existences fantomatiques.
Ainsi l'effritement inital de l'espace de repli et de sa compréhension représentait-il la dimension peut-être fissurée, défectueuse, par où communiquent pseudo-vivants et pseudo-morts.
Le lecteur qui sera parvenu à ce point de ma méditation risque à nouveau de s'inquiéter de la cohérence de mon propos. Je veux le rassurer : nous sommes dans l'ordre du symbole, et c'est ce qui assure la réalité inattaquable des faits improbables que je rapporte. La réalité du symbole est incomparable avec la réalité empirique : elle en est la condition. Pourtant la réalité se révolte, inflige démenti sur démenti au symbole qui se remet toujours sur pied. Masse amorphe, anorganique, figure de chairs décomposées et de viscères mêlés, l'imagination ! pétrit de symbole le réel, sans s'inquiéter des coups qui lui sont portés et qui la déchirent, en la fouettant, continuellement. L'imagination, la folle du repli, et qui se montre toute nue dans le rêve, dans son déchirement permanent, que le réel la fouette ! Les symboles sont des fantomes, c'est-à-dire des êtres vivants et leur veille assidue autour de chaque parcelle de la réalité est méritoire. La vie est interne, non externe. Je suis un pseudo-vivant, ou est-ce vous ?
Abstraction, un : je me retire. Même de moi-même, s'il le faut, je me retirerai. Peinture abstraite : toute peinture dont mon visage est absent. Toute peinture - non qui me parle d'autre chose que de moi - mais qui m'arrache à moi-même ; au lieu où je me trouve.
Abstraction, deux : ce qu'on demande à l'abstraction, c'est l'extraction (or, fumier, purin). En retour l'extraction s'opérera abstraitement. Abstraction, extraction -- étant les deux dimensions du repli (insurrectionnel) : comme profondeur et profondeur, dans un espace qui ne connaitrait que profondeur.
Direction
Où aller ? Dire : je suis sans direction, je vais où le vent me portera, c'est céder à une illusion (le vent).
Il faudrait naviguer pour raisonner ainsi. La voile rend le bateau tributaire du vent. Les rames ! Est-il dans la conscience quelque chose qu'on puisse lâcher comme des rames. Le bateau peut aller sans décider de sa direction, même si le risque est grand de s'échouer contre un corail ou une épave. L'esprit -- a ses vents, mais ils sont internes. Le vent de l'esprit me conduit au repli -- et la question est : où donc le repli conduit-il ? Et je bute sur cette question, fort simple dès qu'il s'agit de me déplacer physiquement : tel bus conduit à Bondy, à Pavillons-sous-Bois ; le métro traverse Paris ; le RER se déploie sur la grande banlieue. Mais le repli semble conduire et ignorer de plus en plus où il conduit. C'est un problème.
Dans une perspective littéraire, ce pourrait même être plus grave que cela. L'absence de direction -- pour un texte, une oeuvre -- est un écueil rédibitoire, insupportable à la lecture. Comment s'en sortir ? Mais en posant des directions furtives, peut-être, sans les dépecer de leur aura de fiction.
J'irai en Iglotoir.
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