Notule

Voilà qui me rappelle les nuits d'antan. Cette réflexion devrait m'horrifier et elle m'horrifie peut-être mais mollement. Je n'ai le cœur à ressentir l'effroi. Le regret sans rétrospection, c'est peut-être ce à quoi je devrais m'essayer. Après tout, je me suis beaucoup adonné à l'exercice inverse, neutralisant avec plus de méthode que la seule raison n'en saurait déployer toute trace de ce qui aurait pu me causer du regret.

Mais non. Ce ne serait pas si difficile à concevoir ou à réaliser. Quand je me fixais sur une image qui n'en était pas une, y revenant toujours pour ne plus rien voir qu'elle et, ne la voyant pas, ne voir en elle que rien, je me taisaiset ne me taisais pas. Il m'était presque possible d'occulter l'existence de l'image non image.

Ce n'est pas ce qui est arrivé pourtant. L'image faisait non pas écran comme on dit mais bouclier. L'effroi ne fait pas un bon bouclier. Tout y est poreux et le toucher s'en ressent sévèrement. Je resterai ici, je ne sortirai pas. Je voulais me rendre quelque part et puis j'ai appris à me souvenir que je ne savais pas le chemin (de chemin).

Ce genre de choses ne peut survenir que la nuit. Il n'est pas d'auditoire si attentif que celui de la nuit. J'ai attendu, un temps, les spectacles de la nuit. En vain. C'est le contraire qu'il fallait entreprendre. Les spectacles de la nuit sont illusoires. C'est l'auditoire de la nuit qui est réel.

Encore faut-il l'entendre, le non spectaculaire auditoire.  Sa présence obligée n'est jamais neutre, ne se conforme jamais à une mesure. Plus le silence s'entend, plus l'auditoire même muet exprime.

C'est une des conditions de la nuit.

Elle pourrait pousser au pire. Elle ne promet jamais le meilleur. Son seul principe, c'est l'écoute. Et une forme particulièrement déséquilibrée de l'écoute. D'un côté comme de l'autre, pas de retour possible. Une écoute sans retour. Le feedback ne peut naître que de spectres détachés de leurs propres silhouettes. Faux spectateurs. Véritables critiques.

J'ai attendu longtemps avant de lire "La fin de la nuit".

Je ne le regrette pas. Au lieu, j'ai écouté Webern. La nuit. J'embrassais fiévreusement ma solitude ainsi. Je ne la quitterais pas au matin mais vous savez ce que c'est, il y a le brouhaha. Le brouhaha des jours.

Si j'avais alors lu "La fin de la nuit", que se serait-il passé ? L'oubli, le peu oubli ? C'est impossible à dire, même après l'avoir lu (de jour). Le fait est que la nuit se présentait d'abord sans image, sans visage ou presque parce qu'il y a eu des dessins hideux (de nuit). Des choses sans nom et sans voix. De jour je prétendai séquestrer le silence. Puis, la nuit m'absorbait. Me recevait. Je régnais, vous dirai-je ! Et le royaume était inapparent.

Ce n'était pas vraiment un royaume, d'ailleurs. Je parle de la compacité de cet auditoire de nuit. C'était un exercice mais ni en un sens scolaire ni même spirituel. On pourrait dire un exercement pour plus de clarté (si je pus dire). Quant à préciser ce qui exerce et de quelle façon, où s'ouvre le jeu si jeu il y a et s'il arrête quand le jour revient, à quelle première lueur ? Ce serait un faramineux voyage d'adversaires.