ALLEGEANCE
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus : qui au juste l'aima ?
Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus : qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ?
René Char
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La série d’unités dont on peut supposer que « le temps » est « divisé », reste énigmatique malgré l’image courante, peut-être parce que je la vois partout ailleurs dans le poème : n’est-ce pas aussi la série de ceux qui peuvent « lui parler », à « [s]on amour », et « des regards » auquel ressemble « le vœu » qu’ils lui renvoient comme un reflet, reflet qui lui ressemble comme une série de gouttes d’eau ?
Et la série qui fait le temps doit faire aussi « l’espace qu’il parcourt » sous la forme de la série d’occurrences qui peuple cet espace-temps : d’« espoir » évanescent, de « prépondéran[ce] » et d’« essor » toujours possibles pour cet amour et « sans qu’il y prenne part » : car il « creuse » toutes ces formes qui l’affirment ensemble et que donc il nie chacune.
Cette série archétypale, ce paradigme universel, présent et absent partout et en tous…, ne serait-ce pas ce qui mérite bien « allégeance » pour être ce que chacun de nous peut appeler « mon amour » ?
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus : qui au juste l'aima ?
Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus : qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ?
René Char
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La série d’unités dont on peut supposer que « le temps » est « divisé », reste énigmatique malgré l’image courante, peut-être parce que je la vois partout ailleurs dans le poème : n’est-ce pas aussi la série de ceux qui peuvent « lui parler », à « [s]on amour », et « des regards » auquel ressemble « le vœu » qu’ils lui renvoient comme un reflet, reflet qui lui ressemble comme une série de gouttes d’eau ?
Et la série qui fait le temps doit faire aussi « l’espace qu’il parcourt » sous la forme de la série d’occurrences qui peuple cet espace-temps : d’« espoir » évanescent, de « prépondéran[ce] » et d’« essor » toujours possibles pour cet amour et « sans qu’il y prenne part » : car il « creuse » toutes ces formes qui l’affirment ensemble et que donc il nie chacune.
Cette série archétypale, ce paradigme universel, présent et absent partout et en tous…, ne serait-ce pas ce qui mérite bien « allégeance » pour être ce que chacun de nous peut appeler « mon amour » ?