Notes et séries

Un homme en voulait terriblement à sa baignoire.
- Tu m'as mouillé ! Mouillé ! Je vais te noyer, moi.
Et il actionna un puissant jet d'eau purulente.
Mais à 8h43, une coupure d'eau intervint et sauva la baignoire d'une mort certaine.

- Connaissez-vous Weimbruliger ?
- Comment pourrais-je savoir qui est ce Weimbruliger dont vous me parlez ?
- Eh bien, je me suis informé pour savoir s'il vous était tout à fait impossible de savoir quoi que ce soit de Weimbruliger et il se trouve que...
- Aaaargh... Mais vous mourez ?
- Oui, de ce fait.
- Je ne saurai jamais rien, donc, de ce compositeur sévère du XVIIIe siècle.

Le père parle à son fils.
Mon garçon, tu voulais me raconter une histoire drôle ?
- Oui, papa ! C'est l'histoire d'une voiture rouge qui roulait plus vite qu'une voiture verte. Le premier conducteur dit : "Je suis vert ! Je suis vert !" Mais l'autre voiture, à cause de la vitesse, finit par foncer sur un feu rouge.
- Et ?
- Bah... C'est drôle, non ?
Et le père de reprendre le journal du Soir, qu'il avait délaissé pour écouter son fils.

C'était un photographe. Mais il était parti précipitamment de chez lui. Et au lieu de son appareil photo, il avait pris un vieux Browning qui avait appartenu à son grand-père mais qui était en parfait état de fonctionnement et qui était chargé !

Le photographe s'est rendu sur le lieu qu'on lui avait indiqué. Un mariage. Professionnel dans l'âme, il ne pouvait pas louper ce contrat !

Finalement, le mariage a été annulé à cause de la pluie. Les amoureux sont d'ailleurs morts atrocement noyés. Et puis la sécheresse s'est abattue sur la ville (tout cela s'est passé très rapidement).

Et quand le photographe est rentré chez lui, la pluie avait corrompu le métal de l'instrument létal, le revolver était enrayé.

Heureusement, il était 20h43. A la télévision, "Amour océan" commencerait dans moins de dix minutes.

/..../

Dans la vie, tout a une
raison d'être, me dit le commissaire Sanchez
avant de mourir. Sous mes yeux.
Je ne sais pas qui l'a abattu.
Peut-être qu'il est mort d'une crise cardiaque.
Le commissaire Sanchez ne devait pas mourir
dans cet épisode. Mais l'acteur qui interprétait
ce rôle sériel crucial est décédé au moment où
(...) on ne sait pas ce qui s'est passé. Son père
n'était pas son père, c'est certain. Et son frère,
avec la complicité de son oncle,
a détourné de grosses sommes d'argent au bénéfice
d'une organisation aux objectifs malfaisants, alliée
à une colonie de limaces qui se gargarisent de
mélodies dodécaphoniques strictes qu'on pourrait
qualifier de pointillistes si elles n'étaient interprétées
par des limaces dont le spectre pseudo-vocal (le truc
qui leur sert de voix, quoi) est plutôt d'ordre gluant
ou pseudo-gluant, selon les jours. Tout ça pour séduire
la jolie Margarita. Mais il est vrai
qu'elle est jolie, Margarita. Elle ne se doute pas de
l'invasion extraterrestre qui trouvera certainement sa
base dans les cultures de piment qui quadrillent la hacienda.

Je n'étais pas dans la proximité de ce que l'oeil m'avait offert.
L'oeil, roulant
par-dessus le destin - qui dérivait au sud ; pas
vers le sud - du côté de Mannheim, plutôt
ou vers les plaines faites de pentes
pleines. Pleines, ces plaines !
Rien. Elles.penchaient.
et j'étais un citron à ce moment.
Je n'allais pas rouler tout au bord de l'assiette, non.
Mais le train avançait lentement, creusait
des arcs mols de terre folle dans des herbes acariâtres. Voilà le destin.
On ne peut s'en remettre sempiternellement à l'oeil, hein ?
Il dit des choses
que le regard ne pourrait pas comprendre.

Paupière, comme si l'arc
pouvait avoir un oeil,
être une couverture. Tant mieux.
Tant mieux que ce ne soit pas le cas.
Loeil se rendormirait, certain
que le jour ne passe plus
ici. Comme le chauffeur le plus cruel
de bus du monde ! Mais il file
son trajet droit dans le sommeil
du tireur que le jeu a tué pour rire.
Là, la plaine
presque proche de la paupière,
presque voisine de la respiration,
presque déserte. On y entend
pourtant
le cliquetis des clés seules à l'effroi.

- Alors la vérité ne sera jamais connue ?
- Jamais. C'est improbable.
- Mais enfin, d'où vous vient ce soudain pessimisme, Gerhard ?
- Je ne suis pas pessimiste. Je crois que la vérité est enterrée avec Nolte.
- Eh bien ! Il faut creuser, creuser...
- Vous avez une pelle, vous ?
- Je peux demander à Ernst.
- On ne retrouvera pas Ernst non plus.
- Ernst ? Mais que... ah !
- Oui.
- Merde.
- De toute façon, il n'avait pas de pelle. Je lui avais demandé de m'en prêter une l'année dernière déjà.

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- Dans le repli, il n'y a que des angles d'ombre. Mais nous n'en parlons pas. Nous n'en parlerons jamais.
- Eh bien vous voyez, Bernhard. Votre roman est terminé. Vous pouvez sortir.
- Mais non, enfin ! Charles, que faites-vous ? Uhr, urh.

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Ce matin-là, Charles Hectorne s'éveille d'humeur badine. Il téléphone à plusieurs de ses amis romanciers et leur explique froidement :

- Si mon poème est mon couteau, ta prose est une pomme. Fais donc de la télévision, plutôt que des romans !
- Mais enfin, Charles ? Hier encore, tu disais...
- Ah ah ah ! Ah ah ! Ah !

Voilà pourquoi, quand on évoque la pensée critique de Charles Hectorne, on parle de "critique énigmatique".

Néanmoins, on doit reconnaître que plusieurs des romanciers contactés par Charles Hectorne ce matin-là ont renoncé à leur(s) projet(s) de roman. Aucun, pourtant, n'a véritablement percé à la télévision. Ce qui importe peu à Charles Hectorne qui est avant tout un homme d'action.

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Testament d'une porte.
- Je lègue tout à ma soeurette fenêtre. De toutes façons, ça ne serait pas sorti.

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Un homme attend l'ascenseur (il sort de chez lui). Mais quand la cabine parvient à son niveau, une dame âgée, plutôt élégante, l'empêche d'entrer à grands coups de parapluie :
- Il monte, crie-t-elle, il monte cet ascenseur !
Elle finit par l'assommer.
Etonnée, elle enjambe le corps et emprunte les escaliers pour chercher son courrier.

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Un homme sort de chez lui. Il marche sans empressement, comme s'il se promenait. Mais passé le rond-point, il presse le pas.

Finalement, il décide de rentrer.

L'automne,
c'est l'hiver qui s'était effacé. Hier,
si ma mémoire est bonne,
c'est le sol. Mais ma mémoire a peut-être failli
en recommençant une nouvelle fois le souvenir
de ce qui n'est même pas un souvenir
mais un constat approximatif : la neige
s'effaçait. Il est possible que les circonstances
de cette dislocation matérielle paisible
aient été dramatiques ou tortueuses. Il y avait
les arbres qui n'étaient plus que des branches
entrelacées. C'était des signes vivants, ces
arbres sur lesquels il restait un peu de neige
également. Mais elle s'effaçait. Et ces signes,
on ne saurait dire s'ils avaient la moindre
signification. Ils s'effaçaient rapidement de
votre mémoire comme signes. Mais l'image de
leurs nudités enchevêtrées, elle s'effaçait en
persistant sévèrement. Les arbres ont toujours
été des signes inexplicables. Ils ne s'effacent
que lentement. Et nous mourons avec. La neige
est comme un papillon. Nous les voyons naître
et mourir avec une vague pensée de vanité ou de
buée, de buée de buée, c'est le moment de faire
ses carreaux. Mais il faut attendre. Attendre
que la neige se soit entièrement effacée, quoi.
Il faut espérer que la pluie ne sera ni longue
ni brutale. Et il faut croire qu'il y aura un
lendemain. On ne rassure. Le lendemain a toujours
lieu. Toujours. Le lendemain a lieu. A
toujours lieu. Toujours lieu a toujours. Lieu
a. Lieu. Le lendemain. Le lendemain a lieu. Le
lendemain au. Lendemain la neige. Elle s'effaçait.

- Souviens-toi de ce thème, petit !

Le vieux jazzman commença à siffloter un motif pas inconnu mais qui semblait enfoui dans une mémoire reptilienne, puis mourut, laissant l'air et le thème incomplets.

Le novice se leva, embarrassé. Qu'avait-il fait de sa mémoire reptilienne ?

L'homme redemande à la dame :
- Mais vous n'avez pas de chien ? Même pas un petit chien ?
- Non, répond-elle. Je ne comprends pas leur langage. C'est comme vous !
- Vous ne comprenez pas ce que je vous dis ?
- Non. Je ne comprends pas ce que vous me demandez. Pourquoi un chien ?
- Eh bien, ça mange de la pâtée pour chien, un chien. Vous ne me croyez pas ?
La dame réfléchit un long moment et finit par dire, comme dépitée :
- Bah si.

Alain Merzin dissertait en marchant près du curé qui l'écoutait attentivement.
- C'est comme l'autre jour, osa Merzin, il y avait du brouillard.
- Quand on dit "comme", c'est qu'on ne voit pas grand-chose, mon fils.
Et le curé de se taire.

- J'ai quelque chose à te dire", dit Severo
à Antonia. Mais Antonia répond :
- Moi, je n'ai rien à te dire
et je ne veux rien entendre de ta
part." Le message
d'Antonia est assez clair. Pourtant,
Severo insiste : "Moi,
il faut que je te parle." Il lève le bras
et esquisse une drôle de moue. "Et tu
m'écouteras". Il ne la traite pas de garce
mais c'est tout comme. En fait, il est
bien énervé. Il est si énervé qu'il pourrait
bien la tuer. Mais il ne la tuera pas.
Il sait qu'elle peut lui rapporter bonbon.
Mais elle ne veut rien entendre. Elle est
presque hystérique, à ce stade. Mais Severo
est calme, dans le chaos ambiant. Juanita
vient d'apprendre qu'elle n'est pas la fille
de Jimenez et ça la préoccupe. Angele
est impliqué dans un trafic de drogues mais
il pense s'en sortir d'ici demain matin
car il peut faire chanter Sergio, à ce qu'il
croit. Sergio n'est pas dupe. Sergio n'est
jamais dupe. Sergio n'est dupe de rien, non.
Sergio attend pendant que Luis fait cuire
des tacos que Margarita ne devrait pas manger.

Une jeune fille un peu alcoolisée s'accroche à un lampadaire et se met à lui parler :
- Mes parents veulent que je me marie à ce navet de Gregorio mais moi, si je m'écoutais, c'est toi que j'épouserais, joli lampadaire. Ta lumière diffuse est si délicate et un peu indiscrète, aussi.
Et le lampadaire de répondre :
- Vous reprendrez bien un verre de tequila ?

Un gars mal luné s'exclame dans le métro parisien :
- Ici il n'y a pas un endroit où lire un livre ! Il n'y a pas de cabine téléphonique non plus ! Grrr !
- Mais vous pouvez acheter un ticket à ce guichet, si vous voulez, lui répond une femme très posément.
- Vous n'y êtes pas du tout ! Je déteste voyager, madame.

Le poème devient une saucisse.

Les saucisses rendent l'âme.

Un angle droit me dit :
- Monsieur, vous avez un caractère excessivement contraint !
Et moi de lui répondre :
- Mais vous êtes rond ?

Il faut du sérialisme en toute chose.
Quand je dis cela, je ne m'exprime pas.
J'exprime la réalité.
Les choses sérient. C'est certain.

Je ne vais pas m'exprimer aujourd'hui.
Je m'exprimerai demain.
Ou plus tard, quoi.
Mais je m'exprimerai, c'est sûr.
A un moment.
Ensuite,
je me serai exprimé.
Les choses seront parfaitement en place.

Je sais qu'un jour je retrouverai cette mélodie. Je ne sais pas quand ni comment et, à dire vrai, j'en ai presque peur.
Heureusement, ce n'était pas elle. Heureusement ? Mais non enfin car cette mélodie, c'était quelque chose de si improbable qu'on détruirait ciel et terre pour la retrouver, non ?
Non. Il faut que je fasse mes cartons.

Personne ne voulait vraiment de ça, en fait.
Personne ne voulait que ça existe.
Même moi, je n'étais pas convaincu. C'est dire !

Enfin... si l'on peut appeler ça dire.

Il faut ne pas pour exhidrer.

- Il est ruisselant qu'il ruissèle.
- Vous parlez de Nolte ?
- Non. C'est le seau d'eau qui est percé.

- Comment ? Angelika est Nolte ?
- Mais vous n'entendez rien ? Elle est morte, je vous dis qu'elle est morte !
- Morte ? C'est impossible. Hier encore elle était...
- Sur le point de mourir, oui.
- Et Nolte ?
- Pourquoi me parlez-vous de Nolte ? Angelika est...
- Quoi ?
- Oh ! Mon Dieu ! Angelika a disparu.
- Elle aussi ? C'est étrange.
- Oui.
- Et où est Nolte ?

La fontaine ne narrait plus. Elle récitait benoîtement.
Fontaine qui se prenait pour un ruisseau. Ou était-ce l'inverse ?

A un moment, j'ai voulu me révolter. Englué dans cette épaisse torpeur comme une éponge se débat dans la glaise, je me suis juré de boycotter ce soleil, cette chaleur, ce vent lent et trop chaud, même, qui ensemble dilataient très concrètement chaque parcelle de mon corps (on est comme des chemins de fer, en fait, aussi sensibles aux variations de la température, etc.) Je me suis révolté. J'ai voulu boycotter la canicule. Je prévoyais d'enfiler un gros pull, un manteau épais, une chapka peut-être, pour sortir faire mes courses. J'aurais ainsi fièrement bravé cette grotesque chaleur qui prétendait me transformer en flaque. On m'aurait regardé avec admiration, comme une épiphanie de fraîcheur enveloppée dans de la laine véritable.

Je me suis péniblement levé et j'ai vacillé jusqu'à l'armoire avant de me rendre compte que je n'avais pas renouvelé mon pass navigo. J'ai pris une douche finalement.

Je ne sais toujours pas comment m'habiller à l'heure qu'il est. Je regarde passer les bus au tournant de la rue depuis ma fenêtre. Eux aussi. Eux aussi, ils boycottent cette chaleur artificielle sans doute due à un soleil factice qu'on aura implanté dans le ciel. Un soleil à vapeur, dont on voit la tuyauterie par endroits si l'on y regarde bien.

Mais comment dénoncer les soleils artificiels ? Si mes doigts se dilatent encore, je devrai écrire avec des palmes ?

La nuit approche.
Or, elle était déjà là.
Toujours à approcher et toujours déjà là,
dormant.

Ce matin-là, Charles Hectorne reçoit un jeune auteur qui espère de précieux conseils du taciturne bonhomme.

Charles Hectorne prend le manuscrit soigneusement rédigé (le jeune auteur a imité manuellement la frappe d'une machine à écrire Underwood) et renverse son café dessus, de façon très déterminée.

Le jeune homme reste coi, n'osant même protester. Et Charles Hectorne de le sermonner d'un air sévère :

- Jeune homme, à cette heure du matin, c'est un café qui convient. Un café, comprenez ? Pas du jus de chaussette !